Durant sa vie dans l'armée, Hieu se résignait souvent face à la léthargie superstitieuse de ses pairs tant dans le domaine administratif que dans le domaine de militaire. A l'époque où il était encore chef d'EM/2ème CA, le Col. Hieu se demandait pourquoi les unités opérationnelles de la 22ème DI furent si souvent tomber dans les pièges tendues par l'ennemi. Tout compte fait, il a vite compris que cela a pour l’origine les consultations pré-opérationnelles du Gén. Lu-Lan, le commandant de cette division, auprès de son devin. En effet, il suivait aveuglément les recommandations de son gourou: quel est le jour ou le mois le plus favorable, quelles directions à prendre qui conviennent le mieux à son signe zodiacal - Est ou Ouest, Nord ou Sud, Sud-est ou Sud-ouest etc...pour mener à bien l'opération. Bercé par son sommeil fantasmagorique, celui-ci ignorait que ce "devin" était en fait une taupe VC chargée à relayer ses intentions au camp adverse. Il avait fallu une intervention de la CIA via la demande discrète du Col. Hieu et de son homologue - conseiller US, le Col. Mataxis pour que le farfelu fut jeté illico en prison. Et comme par enchantement, les traquenards ne se reproduisaient presque plus. L'admiration que porte le Général Tri à l'égard de Hieu à propos de l'efficacité de commandement, la connaissance du terrain et de l'adversaire, l'utilisation à sa juste valeur des compétences de ses subordonnés n'empêchait pas un sourire en coin de la part de ce dernier devant les craintes superstitieuses de son chef. Pour preuve, lors de l'opération transfrontalière Khmero-Vietnamienne dont le but était d'anéantir le centre névralgique des forces guérilleros Sud VN en mars 1970, le jour "J" a été retardé in extremis de 2 jours créant ainsi un grand chambardement dans l'énorme organisation conjointe américano-vietnamienne impliquant cent milles soldats, tout simplement parce qu'il a pris en compte le jour opportun indiqué par son divinateur. Le jour où le Gén. Minh prend en main la destinée du 2ème CA à la place de Tri, Hieu est écœuré d'être aux ordres d'un chef dont la compétence est pratiquement nulle, ne sachant que s'abriter derrière les prédictions rocambolesques afin de cacher son incapacité aux commandements. C'est la raison pour laquelle Hieu a tourné en dérision la scène où celui-ci pointait son stick devant l'assemblée de l'EM/5ème DI tout en sachant soi-même incapable de déchiffrer la carte opérationnelle. Le Col. Pham Ba Hoa raconte à propos de Minh dans son livre Đôi Dòng Ghi Nhớ (Quelques Lignes pour Mémoire), je cite:
Pendant l'opération Snoul en 1971, Hieu se demande bien pourquoi lorsque l'ennemi est en train de tomber dans le piège en utilisant leurs 2 divisions 5 NVA et 7 NVA pour encercler le 8ème Régiment Blindé comme c'est prévu dans le plan opérationnel, Minh annule cette action. Quant au Col. Bui Thach Dzan, Cdt de la 8ème RB, il est très en colère contre la décision de retarder de 2 jours l'évacuation de son unité, motif: le jour coïncide avec l'anniversaire du 3ème CA. D'autre part, le Général Tran Quang Khoi s'étonne quand Minh, fraîchement arrivé à la place qu'occupait le Général Tri en tant que Cdt du 3ème CA, fait retirer les troupes basées sur des positions stratégiques situant à l'intérieur du territoire Cambodgien pour les réinstaller de l'autre côté de la frontière. Nos forces ont la maîtrise du terrain, tout à coup, elles stagnent sur place; de la position de dominant, elles passent à celle de dominé. Les 3 chefs chevronnés tels que Hieu, Khoi et Dzan n'arrivent pas à comprendre le style de combat du Général Minh, et pour cause: celui-ci ne pratique ni tactique, ni stratégie. Pour les heures, les jours, les directions à prendre, il ne fait que respecter strictement les consignes de son diseur de bonne aventure (allez plutôt vers le Sud-ouest au lieu de Nord-ouest)! Un fait cocasse s'est passé alors que Hieu se préparait à quitter la fonction de Cdt en second du 1er CA afin d'aller occuper le portefeuille de ministre délégué à l'anticorruption sous la tutelle du Vice-président Tran Van Huong, lorsque qu'il fut invité par le Cdt de la 7ème flotte US d'aller visiter son armada, le jour précédent de la passation du pouvoir. Son remplaçant, le Col-artilleur Phan Dinh Soan après avoir consulté son astrologue lui demande d'avancer de plusieurs jours son départ. La visite de la 7ème flotte était devenue alors impossible. Hieu donna quand même son accord malgré sa grande déception de devoir la manquer, car cette visite représentait à l'époque, une occasion rarissime. A part l'opinion qu'a Hieu vis-à-vis de l'occultisme invoqué ci-dessus, j'ajoute le cas des autres Généraux fervents défenseurs de ces pratiques ridicules. Dang Van Nham note dans son livre Hậu Trường Chánh Trị Miền Nam (1999) (Dans les coulisses politiciennes du Sud Vietnam), "Un autre aspect digne à relever chez le Gén. Chinh c'est qu'il est un adepte inconditionnel de la divination et de la superstition. A la veille de chaque opération, il ne manque jamais d'aller consulter son prédicateur à propos de l'heure, de la conjecture du sort, de la cartomancie. De temps à autres, en passant par Saigon, il vient au siège de mon journal me chercher en personne, m'amène au petit déjeuner, et va consulter un voyant." Dans le cercle des "bérets verts", la plupart n'ignore rien de l'influence qu'exercent les sciences occultes sur le Gén. Le Nguyen Khang et son EM. Khang n'est pas myope, et pourtant il porte toujours une paire de lunettes assortie de monture de couleur jaune, tout bêtement parce que son occultiste lui dit que sa longue vie en dépend. Au cours de la campagne Lam Son 719, les bérets verts furent déçus de l'absence de leur Cdt de division durant la première semaine, il aurait dû y être pour encourager ses troupes car la lutte fut âpre et incertaine. Ce qu'ils ignoraient c'est que leur chef, obéissant à son "divin maître", n'a pas osé prendre le départ en ce jour là et encore moins en cette direction là, de peur que l'avion tomberait selon ses prédictions. C'est pourquoi, Khang et son chef d'EM le Col. Bui The Lan, ont délégué le Col. Ton That Soan (à cette époque, ce dernier était "au placard") au titre de Cdt adjoint opérationnel et que celui-ci devait partir à la région de la basse Laos. Par la suite, ayant vu que Soan arrivait indemne à la destination, Khang envoyait à son tour Lan pour achever la 2ème phase de la campagne. Manque de chance pour ce dernier, cette opération s'enlisait lamentablement et tournait au désastre, et les bérets verts subissaient des pertes sévères. Par conséquent, après la bataille de basse Laos, le Col. Lan faisait du "sur place" tandis que les chefs d'unités des autres armes telles que le Brigadier Général Pham Van Phu fut promu au rang de Gén. de Division; le Col. Vu Van Giai, Cdt Adjoint de la 1è DI et le Col. Parachutiste Ho Trung Hau obtinrent le galon de Gén. de Brigade. Toujours avec la croyance excessive des sciences nébuleuses en toile de fond, voici le cas du Gén. Thieu. D'après le Gén. Hoang Van Lac, l'un des motifs qui l'avait empêché de se débarrasser du Gén. Cao Van Vien du poste de Chef d'E.M.G provenait de sa fascination à l'obscurantisme. Lac écrit dans Blind Design, "c'est peut-être un peu compliqué mais il se révèle d'un aspect indiscutable: la superstition. La numérologie démontre que Vien aurait la capacité de contenir Vo Nguyen Giap. Thieu évoquait souvent avec plaisir de cette particularité à ses amis." Cao Van Vien, ce Général à quatre étoiles, lui aussi, n'échappe pas à la règle. Il croit dur comme fer que le chiffre 13 est une calamité absolue et c'est la raison pour laquelle il a appris avec stupeur quand les Américains ont envoyé leur vol habité sur la lune un 13ème jour du mois. Le Général Abrams raconte: "En parlant avec le Général Vien l'autre jour, j'avais remarqué que celui-ci s'est donné beaucoup de mal pour arracher ma confidence sur un sujet capital, incompréhensible pour lui, comment est ce possible que notre gouvernement a opté un 13ème jour pour effectuer ce lancement sans précédent. "Mon Dieu ! Et dire que tout le monde savait que ce nombre représente la catastrophe, mais c'est inconcevable!" S'écrit-il. Je lui ai répondu: "Je vous comprends, mais il s'agit là une décision des scientifiques, et dans ce domaine, on ne tient pas compte des influences externes". (The Abrams Tapes, 1968-1972, Lewis Sorley, page 403). Le Général Abrams n'était pas au bout de ses surprises puisqu'il évoque encore le cas du Général Tri: "Je me rappelle qu'une opération devant débuter un lundi, et que celle-ci a été ajournée tout simplement parce que pour Tri, ce mardi là est le jour le plus néfaste de l'année en cours, selon les dires de son astrologue, et bien entendu, cette action ne pourrait débuter que le mercredi suivant, et c'est ce qu'il a fait. Mais c'est insensé!". (page 431). Si on poursuit ce raisonnement jusqu'au bout, l'ordre donné par Thieu d'abandonner la 1ère (le 13/3/1975) et la 2ème (le 23/3/1975) Régions Militaires n'a aucun rapport avec la tactique militaire. Et évidemment, il refuse d'écouter les conseils de Ted Serong(*); il n'a fait qu'à suivre docilement les instructions de l'un de ses devins. (*) Au début de 12/1974, Ted Serong propose à Thieu d'abandonner impérativement les 1ère et 2ème régions dans le but de concentrer les forces et de renforcer les 2 régions restantes (3 et 4ème); Thieu refuse ce plan. Ted Serong revient à la charge au début de 1975 en précisant que si Thieu tenait encore à son régime, cela devrait se faire à la date limite du 15/02; celui-ci fait la sourde oreille. A la mi-mars, Thieu fait mander Ted Serong pour une consultation; l'intéressé lui fait savoir que le délai stricto sensu est terminé et que la guerre se terminera d'ici trois semaines; deux jours plus tard, les Communistes attaquent Ban Me Thuot. (Anne Blair, l'auteur de "There to the Bitter End: Ted Serong in Vietnam ")
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