Espoirs et Déceptions du Spécial Investigateur d'Anti-Corruption

Précieux Documents Archivés

Au cours de la recherche des documents regardant le Général Hieu, les archivistes de la President Ford Library m'ont avisé que cette librairie possède environ quatre-vingt dix pages à propos des efforts d'anti-corruption du bureau du Vice Président Huong. La plupart de ces documents est composée par des télégrammes que l'Ambassade Américaine à Saïgon envoie au Secrétaire d'Etat pour rapporter les efforts and opinions du Général Hieu, Spécial Assistant au Vice Président Tran Van Huong en charge d'Anti-Corruption. Les télégrammes suivants ont été affichés dans la Page du Général Hieu:

01. Rapport sur le Scandale FAMES (14/07/1972)
02. Le Général Hieu Parle de la Corruption (15/07/1972)
03. Corruption au Sud Vietnam (19/07/1972)
04. Le Général Hieu Parle du Spécial Décret sur la Corruption (17/08/1972)
05. Traduction du Discours Prononcé par le Général Hieu le 14 juillet (01/09/1972)
06. Corruption dans le Système Judiciaire (14/09/1972)
07. Trois Cas de Corruption: Dung, Police Judiciaire et Phung Hoang (20/09/1972)
08. Sept Colonels Ont Eté Punis dans le Scandale FAMES (27/10/1972)
09. Le Général Hieu Examine son Travail d'Anti-Corruption (05/03/1973)
10. Le Cas de Corruption du Colonel Tran Trong Nghia (24/05/1973)

Le premier facteur qui fait que ces documents sont précieux est que le contenu de ces télégrammes est des rapports que les fonctionnaires rapporteurs de l'ambassade américaine ont rédigés après leurs entretiens avec le Général Hieu. Par conséquent, ces documents reflètent exactement les mots, les pensées et sentiments du Général Hieu, et non pas de quelqu'un d'autre, concernant ses efforts d'anti-corruption.

Le deuxième facteur qui fait que ces documents sont précieux est qu'ils couvraient presque entièrement la période pendant laquelle le Général Hieu assumait la position de Spécial Investigateur d'Anti-Corruption. Par conséquent, on peut suivre les activités d'anti-corruption du Général Hieu depuis le commencement jusqu'à la fin.

Le troisième facteur qui fait que ces documents sont précieux est qu'ils sont produits dans un environnement impartial et franc entre le Général Hieu et les responsables américains (évidemment, le Général Hieu était bien conscient que ces mots seraient rapportés aux hautes autorités américaines). De sa part, le Général Hieu n'avait pas peur de parler franchement; du côté des fonctionnaires rapporteurs, leur devoir était de rapporter fidèlement.

Le quatrième facteur qui fait que ces documents sont précieux est que sans leur existence, la génération suivante des jeunes ne saurait jamais les vérités concernant la campagne d'anti-corruption du Général Hieu, parce que tous les témoins de cette période-là - selon ma propre expérience par la suite de mes contacts personnels - ne sont pas prêts à aborder ce sujet sous prétexte du respect de la sensitivité d'autrui ou par peur d'atteintes personnelles.

Points Saillants des Documents Archivés d'Anti-Corruption

Ci-dessous sont les points saillants concernant les efforts d'anti-corruption du Général Hieu, basés sur les documents préservés à la President Ford Library.

Euphorie initiale

Jusqu'en ce moment, je n'ai pas pu préciser la date à laquelle le Général Hieu cède sa position de Commandant Adjoint du I Corps pour assumer son rôle d'Assistant Spécial au Vice Président en charge d'Anti-Corruption. A l'ouverture de son discours télévisé à propos du scandale du Fonds d'Aide Mutuelle et d'Epargne des Soldats (FAMES) prononcé le 14 juillet 1972, le Général Hieu rappelle qu'il a présenté les découvertes préliminaires de cette affaire le 4 avril 1972. Ainsi, on peut présumer que le Général Hieu aurait dû commencer son travail d'enquêteur en mars 1972. Cette présomption est corraborée par le prononcement du Général de Corps Lam Quang Thi dans lequel il dit qu'il était présent au I Corps en tant que Commandant Adjoint en charge des opérations depuis mars 1972, et il n'y a pas rencontré le Général Hieu. Par conséquent, on peut supposer que le Général Hieu a quitté Danang pour Saïgon avant mars 1972.

Le fait que l'ambassade américaine n'a commencé à rapporter sur le travail d'anti-corruption de la Vice Présidence avec son premier télégramme daté le 15 juillet 1972 montre que les autorités américaines, comme l'attitude de tout le monde, considère le Vice Président Huong, lorsqu'il est confié la mission d'éradiquer la corruption par le Président Thieu en novembre 1971, comme étant seulement un "tigre en papier". Le même jour où le Général Hieu proclame ses découvertes préliminaires concernant le scandale du Fonds d'Aide Mutuelle et d'Epargne des Soldats le 4 avril 1972, le correspondant de Los Angeles Times écrit que le Général de Corps Nguyen Van Vy était très honnête et il n'y avait aucune preuve qui aurait impliqué le Ministre de la Défense, " il semble être innocemment coincé au milieu". L'ambassade américaine, comme tout le monde, ne commence à faire attention que quand le discours télévisé du Général Hieu est prononcé le 14 juillet 1972, et s'est précipité à aller l'interviewer le jour suivant, 15 juillet 1972.

Il est certain que quand le Vice Président Huong propose au Président Thieu de faire venir le Général Hieu du I Corps pour assumer la fonction d'Assistant Spécial au Vice Président d'Anti-Corruption, Thieu ne soupçonne aucunement que le Général Hieu pourrait être les "griffes d'acier" du "tigre en papier" et par conséquent il ne s'est pas mis en garde, et le Général Hieu a pu jouir une grande liberté au début de son travail en tant qu'enquêteur.

Parce que personne ne prête attention, le Général Hieu a pu paisiblement achever son enquête sur le scandale du Fonds d'Aide Mutuelle et d'Epargne des Soldats en trois mois. Il n'a pas hésité de choisir sa première cible d'attaque, la plus grande cible de corruption (montant à plus de dix millions de dollars), appartenant à la plus puissante institution (la Défense), dirigée par une personnalité militaire la plus prestigieuse (le Général de Corps Nguyen Van Vy, "ce soldat de 54 ans a des qualités que bien peu de généraux du Sud Vietnam peuvent rivaliser",) et extrêmement complexe (une pieuvre à sept tentacules: une banque et six sociétés commerciales: COGIVINA, SICOVINA, VICCO, VINAVATCO, ICICO, et FOPROCO; impliquant de la compétence spécialisée en comptabilité, finance, marché de la bourse, gestion, ...).

Le Général Hieu a également pris soin de présenter le cas FAMES directement au "peuple de la nation, généraux, et amis combattants", à la télévision en premier lieu, puis "les dossiers de l'enquête de la première phase réalisée par l'Equipe d'Investigation Spéciale seront soumis au Président du Viet Nam avec recommandations pour les nécessaires sanctions pour sa décision finale", en second lieu, établissant ainsi un fait accompli dans le but de prévenir que le dossier soit mis à l'écart et permis d'être oublié. Cette prévoyance a forcé le Président Thieu de licencier le Ministre de la Défense et sept colonels dans cette affaire FAMES.

Le Général Hieu est transporté de joie quand un nombre d'officiers de l'ARVN l'ont appelé au téléphone pour le féliciter sur le rapport après son apparition à la TV.

Une autre source de satisfaction du Général Hieu était que le Vice Président Huong prêtait toute oreille à ses idées. Par exemple, le Vice Président Huong a répété l'idée du Général Hieu qui attribue la corruption comme cause de la perte du Parti Nationaliste de Chiang Khai-Shek au le Parti Communiste de Mao Tse-Tung au Président Thieu.

Quand le Vice Président Huong affirme aux deux Ambassadeurs américains, Bunker et Whitehouse, "que c'était en partie grâce à ses efforts que les Généraux Lam [Commandant du I Corps] et Dzu [Commandant du II Corps] ont été remplacés; Il a également attiré l'attention de l'enlèvement récent du Chef de Province de Vinh Long pour cause de corruption", on peut apercevoir clairement l'influence et les manoeuvres de derrière les coulisses du Général Hieu dans ces trois licenciements en avril 1972.

Dans l'euphorie de réussites au début de sa tâche, le Général Hieu envisage et ébauche de grands plans d'attaque tous azimuts. Il mentionne la Société d'Electricité, Air Vietnam, le Conseiller Présidentiel, le Général de Corps Dang Van Quang, la Branche Judiciaire, la Police Judiciaire, le Programme Phung Hoang.

Les Déceptions S'Empilent

Mais alors très vite, le Général Hieu trouve que les obstacles suivants lui préviennent de remplir sa mission d'anti-corruption qu'on on lui a confiée.

Le premier obstacle était le manque de personnel et de fonds. Il apparaît que sauf le Général Hieu, le Vice Président Huong n'a pas pu embaucher quelqu'un d'autres: "Il précise qu'il est difficile de trouver des officiers incorruptibles et audacieux pour travailler dans ce domaine" . Personne n'ose affronter les responsables corrompus poids lourds tels que Thieu, Khiem, Quang... "Le Général Hieu dit que certaine pression a été exercée de différentes directions contre les investigateurs de FAMES. Quelques officiers du Service de Sécurité Militaire travaillant dans le cas ont été rappelés par des personnes dans le MDN qu'après l'investigation soit conclue ils demeurent encore sous la discipline du MDN. Ceci est considéré comme étant une menace par les officiers du SSM impliqués. Hieu a dit que ces menaces n'ont pas empêché l'investigation."

En outre, le fonds d'opérations du Comité d'Anti-Corruption - "Bien qu'il obtienne une certaine aide financière des fonds secrets du Président Thieu" est très limité. L'opinion de l'ambassadeur Bunker est comme suit: "je suis de l'avis qu'il ne pourra faire davantage dans ce domaine que ce qu'il a pu faire dans le passé, à cause du manque de personnel et de fonds, à moins que ces conditions soient remédiées. Ceci ne sera possible qu'avec le soutien vigoureux de la part du Président Thieu." C'est bien évident que les soutiens de Thieu à la campagne d'anti-corruption ne demeurent que des mots au bout de la langue.

Le deuxième obstacle qui rendait la tâche d'anti-corruption difficile était l'interférence des sentiments. Dans le cas FAMES, le Général Hieu se sent coincé dans une situation difficile quand son propre père, cédant à de multiples requêtes de la part de ses vieux amis, intercède auprès de son fils pour le Général Vy. Egalement dans cette affaire, le Général Hieu a dû mettre à côté ses propres sentiments afin de dénoncer les activités de détournement de fonds du Général Le Van Kim, qui était un ami intime et beau-frère du Général Don, un supérieur direct et bon ami du Général Hieu (depuis 1953 jusqu'à 1962). Dans son livre, Viet Nam Nhan Chung, le Général Don n'en voulait pas le Général Hieu dans cette affaire et a simplement fait la remarque que "le Général Nguyen Van Hieu était franc." Parce que le Général Hieu était très accessible, toujours un bon écouteur, condescendant, prêt à recevoir quiconque veut lui parler, il reçoit même ses proches parents bien qu'il sache que ceux-ci viennent solliciter des faveurs. "Le Général Hieu dit qu'il dépense beaucoup de son temps essayant d'écarter l'introduction de tels facteurs dans la considération des cas de corruption." Un proverbe vietnamien décrit bien l'attitude du Général Hieu au sujet des sentiments et du devoir:

Mon amour pour toi je le conserve dans mon coeur
Dans ma fonction officielle, je me laisse guider uniquement par le sens du devoir.

Le Général Hieu ajoute que le Vice Président Huong n'est pas aussi ferme que lui: "le Vice Président Huong lui-même parfois sent obligé de donner du poids à ces facteurs." Et le Général Hieu était plutôt déçu que le Vice Président Huong avait peur d'affronter le Président Thieu et le Général Quang. "Il cite comme un exemple un député qui a été clairement impliqué dans des activités de corruption. Hieu dit qu'il présent le dossier au Vice Président Huong, qui note que le législateur est un membre du bloc pro-gouvernemental et le jour auparavant il a diné avec le Président. Huong conseille de ne pas poursuivre l'affaire. Un autre exemple, dit Hieu, est Colonel Pham Kim Quy, Chef du bloc judiciaire de la Police Nationale. Selon Hieu, d'énormes corruptions dans le service d'immigration de la Police Nationale, une branche du bloc judiciaire, ont été traquées directement au Colonel Quy, qui est bien connu proche de l'Assistant du Président Dang Van Quang. Le Vice Président Huong est également peu disposé à poursuivre ce cas."

Un autre obstacle que le Général Hieu rencontrait souvent était que les membres du Comité Spécial d'Anti-Corruption prenaient toujours parti du côté des leurs, comme dans le cas du Ministre de la Justice Le Van Thu votait pour disculper le Juge Nguyen Khac Dung, ou le Directeur Général de la Police Nguyen Khac Binh s'efforçait de soutirer la Police Judiciaire hors d'atteinte de poursuite avec des transferts en masse.

Le Général Hieu était également découragé quand le Vice Président Huong écoutait le conseil de l'un de ses collègues qui était aussi un Assistant au Vice Président, Nguyen Thach Van, et donnait ordre à un comité gouvernemental de rédiger un projet loi d'anti-corruption, parce que ce n'était qu'un exercice de futilité qui n'aboutirait à rien. Le Général Hieu a dit carrément: "Si vous voulez vraiment attaquer efficacement le problème de la corruption, vous n'avez pas besoin du nouveau décret", dit-il. Selon Hieu, au temps que les personnes impliquées dans la corruption continuent à recevoir la protection de l'autorité haut placée, très peu de progrès peut être fait."

Un autre obstacle était qu'après que le scandale FAMES fût exposé, le Président Thieu a limité le pouvoir de conduire l'enquête au niveau de district ou plus bas. Quant au niveau de province ou plus haut, une approbation présidentielle était requise au préalable avant d'entamer une enquête. Si un chef de district voulait soudoyer quelqu'un, il devait partager son butin avec le chef de province; si le chef de province voulait soudoyer quelqu'un, il devait partager son butin avec le commandant de corps; si le commandant de corps voulait soudoyer quelqu'un, il devait partager son butin avec le conseiller spécial du président; telle était la chaîne de corruption que le Général Hieu a démontrée dans l'exemple suivant:

Hieu dit que Colonel Mach Van Truong, récemment nommé Chef de Province de Long Khanh, a dans les dernières semaines fait de nombreux approches au Commandant Sung, un de ses chefs de districts, demandant que Sung extorque l'argent des opérateurs de bois dans son district et de procurer à Truong une portion majeure de ces recettes. Hieu dit que Commandant Sung, qui était Commandant du 8ème Régiment, 5ème Division, quand Hieu était Commandant Général de la 5ème Division, et bien connu dans l'ARVN de sa stricte honnêteté. Sung rapporte à Hieu l'approche fait par Colonel Truong, disant qu'il a dit à Truong qu'il ne pourrait pas accéder à sa demande et par conséquent souhaite être transférer ailleurs. Hieu commente au fonctionnaire d'ambassade que Truong est un ancien associé du Général de Corps Nguyen Van Minh, CG RM 3, et que Hieu est convaincu que Minh a nommé Truong comme Chef de Province en partie afin d'assurer son contrôle sur le commerce lucratif du bois dans Long Khanh. Hieu recommande que ce cas soit investigué mais note que ceci dépend du Président Thieu et du résultat des contacts entre Thieu et le Général de Corps Minh.

Ce qui est évident ici est que Thieu avait l'intention de lier les mains du Général Hieu, le prévenant de retracer les maillons de la peste de corruption jusqu'aux racines, afin d'écraser l'animal corruption à sa tête (Thieu-Quang-Khiem).

Par suite, quand il examine les résultats de ses efforts d'anti-corruption, "Hieu dit qu'il considère les résultats jusqu'ici décevants. Les réussites obtenues accomplies ne correspondent nullement à la dimension du problème." Ayant confronté l'ANV sur les champs de bataille, le Général Hieu savait qu'il était clair que l'ARVN ne pourrait jamais les abattre, et vice versa. Par conséquent, il était convaincu que quand tout le monde serait fatigué de se battre, une solution politique serait éventuellement recherchée par tout le monde. Quand il viendrait à ce point, le Sud Vietnam tomberait aux mains des Communistes:

Ou nous corrigeons nos fautes ou les communistes les corrigeront pour nous.

[ commentaire: il semble que la phrase ci-dessus du Général Hieu sonne mieux que le slogan suivant du Président Thieu: N'écoutez pas ce que les Communistes disent. Plutôt examine de près ce que les Communistes font. Lequel de ces deux avis aurait pu avoir plus de chance de sauver le Sud Vietnam de tomber aux mains des Communistes? Pour gagner une bataille, on doit connaître à la fois les forces et les faiblesses de l'ennemi et de soi-même. Le conseil du Général Hieu s'adresse aux deux côtés. Le Conseil du Président Thieu ne souligne que le côté ennemi.]

Hieu dit que sa propre expérience pendant l'an passé et son examen de près qui lui a été accordé dans son travail de la corruption à travers la société vietnamienne lui a convaincu que si aucun moyen ne puisse être trouvé d'attaquer le problème efficacement, il pourrait bien devenir un facteur décisif de basculer la population vers les Communistes dans la lutte politique à venir. Il dit que bien que les Vietnamiens Sudistes généralement n'aiment pas les Communistes et regardent leur ascension au pouvoir possible avec un certain degré d'appréhension, il y a une colère latente répandue parmi la population devant les preuves rencontrées constamment d'abus de pouvoir pour le profit personnel, de pratiques de corruption, et en particulier d'extorsion, que le peuple rencontre dans leur vie quotidienne.


Nguyen Van Tin
28 juillet 2002.

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