L'Opinion du Général Hieu sur le Programme de Vietnamisation

Le Président Nixon annonce le premier retrait des troupes américaines en juin 1969, et le 3 novembre 1969, il annonce le programme de Vietnamisation de la guerre. Entre ces deux dates, le Général de Division Hieu fut nommé Commandant de la 1ère Division d'Infanterie en août 1969. Dans cette capacité, il devait exécuter la Vietnamisation avec sa 5ème Division d'Infanterie et il a formulé son opinion sur la faisabilité de ce programme, qui s'avèrerait être correcte au cours de son développement les années suivantes jusqu'à l'écroulement total du Gouvernement de Saïgon en mai 1975.

Dans sa responsabilité en tant que commandant de la 5ème Division d'Infanterie, le Général Hieu faisait face à deux énormes tâches liées à la Vietnamisation: la relève du camp Lai Khê des mains de la 1ème Division d'Infanterie américaine et la relève des régions opérationnelles de deux divisions américaines, la 1ère Division d'Infanterie et la 1ère Division de Cavalerie.

Afin de préparer le retrait de la 1ère Division d'Infanterie américaine, la 5ème Division d'Infanterie a reçu ordre de déménager son Quartier Général de Phu Cuong à Lai Khê, qui était le QG de la 1ère Division d'Infanterie américaine, tandis que cette division américaine déplace son QG à Di An, plus proche de Saïgon. Les nombreux problèmes que le Général Hieu rencontre dans la relève du camp Lai Khê ont été discutés dans une série de correspondance entre le Général Do Cao Tri, Commandant du III Corps, le Général McAuliffe, Conseiller Adjoint de la MACVZ-III, le Général Milloy, Commandant de la 1ère Division d'Infanterie américaine, et le Général Ewell, Chef Conseiller de l'US II Field Force.

Un problème majeur qui a préoccupé le plus le Général Tri et que le Général McAuliffe mentionne dans sa lettre datée le 18 mars 1970 adressée au Général Ewell a pour cause l'emploi de deux différents systèmes électriques par l'USARV (haute voltage de 500 kws) et par la RVNAF (bas voltage de 100 kws). Le problème a été résolu par le Général Ewell qui a donné ordre de remettre les générateurs de 500 kws à la 5ème Division d'Infanterie tout en leur fournissant les pièces d'échange aussi bien que l'entraînement requis aux électriciens vietnamiens.

Le deuxième problème majeur était la pénurie en approvisionnement de bois de charpente et de tôles de toiture pour réparer les bâtiments délapidés laissés par la 1ère Division d'Infanterie américaine au camp Lai Khê. Dans une lettre (non datée) adressée au Général Tri, le Général Ewell avise que la 5ème Division d'Infanterie ne devrait pas attendre aucune assistance de la part des Américains en matière de matériaux de construction et suggère que "l'opération de sauvetage à Dau Tieng (d'un camp américain abandonné) fournira une quantité substantielle de matériaux pour les logements des familles des soldats", puis il ajoute, "Il serait approprié, cependant, de considérer à détourner quelques matériaux récupérés pour réparer les bâtiments à Lai Khê; alternativement, à sélectionner quelques bâtiments à Lai Khê pour démanteler afin d'employer les matériaux ainsi obtenus pour réparer les autres bâtiments là même."

Le plus grave problème discuté était le manque de fonds pour la maintenance du camp Lai Khê. Dans sa lettre datée le 14 mars 1970 adressée au Général Ewell, le Général Tri confie que l'Etat Major Général n'alloue que 1.500.000 piastres (1/10è de ce qui est nécessaire) à la 5ème Division d'Infanterie pour la maintenance du camp. Le Général Tri ensuite supplie, "pour assister la 5ème Division d'Infanterie à avoir suffisamment de logements pendant les premiers jours d'occupation au camp Lai Khê, demande que votre QG prenne action auprès de l'USARV d'accorder à PA&E de continuer la maintenance des casernes transférées à la 5ème Division d'Infanterie avec le fonds de maintenance de 1970, fourni par les Forces Armées des Etats Unis."

Relativement au manque de fonds pour la maintenance des camps, le Général McAuliffe rapporte au Général Milloy, dans son memorendum daté le 13 mars 1970, que le Général Conroy du 4ème Bureau/MACV a dit que "le Gouvernement du Vietnam normalement procure très peu de fonds pour maintenir les camps, souvent seulement environ un-dixième de ce qui a été soumis, et qu'en général il est impossible d'obtenir de fonds supplémentaires dans ce but. Il remarque que les unités de l'ARVN occupant les anciens camps américains devront apprendre à vivre sous ce financement austère; autrement, ils ne devraient pas accepter ces camps pour occupation."

Pour sa part, le Général Hieu était opposé à déménager son QG de Phu Cuong, où il avait seulement besoin de quelques unités de la Force Populaire pour défendre son QG, tandis qu'à Lai Khê, il devait allouer, et en faisant ainsi, d'enliser tout un bataillon de sa force régulière. Néanmoins, en dépit de tous les problèmes et opposition, la cérémonie de la relève du camp Lai Khê par la 5ème Division d'Infanterie a eu lieu le 27 février 1970.

Une autre tâche plus importante que celle de la relève d'un camp américain que le Général Hieu a dû jongler au sujet de la Vietnamisation était d'assumer les régions opérationnelles laissées par les deux divisions américains en retrait, la 1ère Division d'Infanterie et la 1ère Division de Cavalerie. Un simple calcul arithmétique indique qu'au lieu de faire face à l'ennemi avec trois divisions, il devait maintenant leur faire face avec seulement trois régiments. C'est bien évident que ce soit une tâche impossible à accomplir. Son souci que la Vietnamisation devrait échouer a été rapporté dans Fall Of South Vietnam: Statements by Vietnamese Military and Civilian Leaders par Stephen T. Hosmer, Konrad Kellen et Brian M. Jenkins (1980):

Je [Général Tran Van Don] étais contre la Vietnamisation...Je vais raconter tout juste une histoire. J'ai visité certaines troupes au champ de bataille pour chercher à comprendre le programme de la Vietnamisation de la guerre... Cela se passait au quartier général de la 5ème Division. J'ai discuté le problème avec le commandant de la division, le Général Nguyen Van Hieu, le plus honnête général, et le plus capable, aussi. J'ai été surpris par sa réponse qui a ouvert mes yeux. Je lui ai demandé, 'Que pensez-vous de la Vietnamisation?' Il m'a dit, 'Il est impossible de la mettre en pratique.' 'Pourquoi?' Il a dit, 'La 5ème Division couvre une région où il y avait deux autres divisions américaines, et maintenant avec le départ de ces deux divisions américaines j'ai seulement ma division pour couvrir la région entière. J'ai trois régiments pour cette région et dois utiliser un régiment pour remplacer une division. Comment puis-je faire face à l'ennemi dans cette condition? Je suis devenu plus faible.' Il a l'air déçu. J'ai été surpris; il était un homme tranquille, un homme poli, et il a essayé son mieux. Mais il a dit que c'était impossible. 'Comment puis je couvrir une plus grande région avec moins de troupes?' Ainsi la Vietnamisation de la guerre signifie que nous sommes devenus plus faibles. (p. 36)

Sur une échelle plus élargie, l'ARVN faisait face avec la même funeste situation que le Général Hieu: remplacer sept divisions et quatre brigades américaines, avec leur multitude unités de support, sans l'avantage d'une augmentation en troupes.

En 1971, les Communistes nordvietnamiens ont été avisés par leurs homologues Communistes chinois qu'ils devraient s'atteler à attaquer le Sud Vietnam avec la bénédiction des Américains, parce que dans sa rencontre avec le Premier Ministre Zhou En Lai le 9 juillet 1971, Kissinger a indiqué que "le gouvernement de Nixon a été déterminé de se retirer du Vietnam même unilatéralement, et même si cela amènerait au renversement du Sud Vietnam." Cette position du gouvernement de Nixon avait été tenue secret jusqu'à récemment elle a été révélée par la diffusion des documents par la National Security Archive, un group de recherche privé, et rapporté par New York Times le 27 février 2002.

Encouragés par l'impatience américaine à se retirer unilatéralement du Vietnam à tous prix, en mai 1972, les Communistes nordvietnamiens déclenchent leurs attaques simultanément sur trois fronts: Quang Tri dans I Corps, Kontum dans II Corps, et An Loc dans III Corps. Quang Tri succombe immédiatement et n'a été repris par l'ARVN qu'en septembre 1972. Kontum réussit à repousser l'ennemi après un combat de deux semaines. An Loc a tenu le coup contre un siège acharné de trois mois. Dans toutes ces trois batailles, les unités de l'ARVN ont réussi à tenir le coup contre l'ennemi grâce à la puissance aérienne américaine intensive, en particulier aux bombardements en tapis des B-52s. Temporairement, la Vietnamisation semblait réussir.

Réalisant que l'ARVN demeurerait suffisamment forte pour résister leurs attaques avec l'assistance des Etats Unis, les Communistes nordvietnamiens acceptent de signer les Accords de Paris le 23 janvier 1973, simplement dans le but de faire les Américains limiter l'approvisionnement des matériels de guerre sur la base de remplacement un par un à l'ARVN et de ne pas fournir le soutien de puissance aérienne à l'ARVN, en échange du relâchement des prisonniers de guerre américains. Mais alors, juste après la signature des Accords de Paris, la piste Ho Chi Minh a été converti en une conduite de 24 heures et 7 jours, utilisable sous toutes conditions climatiques, sur laquelle des troupes et des matériels déferlent du Nord au Sud. Pendant ce temps, au contentement des Communistes nordvietnamiens, et à l'ébahissement des Sudvietnamiens, les Etats Unis réduisent le financement au Sud Vietnam de 30% (de 1,6 billion à 1,26 billion) en 1973, et 60% (de 1,6 billion à 700 millions) en 1974. En outre, les Etats Unis réduisent les munitions de 30% (de 179,000 tons à 126,000 tons) et l'essence et pièces d'échange de 50%.

En 1974, les Communistes nordvietnamiens craignaient encore la promesse privée que le Président Nixon a donné au Président Thieu que les Etats Unis rentreraient militairement au Vietnam si le Nord attaque le Sud. Ils décident de faire un sondage de cette intention en attaquant Phuoc Long en décembre 1974. Quand Phuoc Long capitule en janvier 1975 sans provoquer aucune réaction de la part des Américains, ils deviennent plus audacieux en attaquant Ban Me Thuot en mars 1975, et de nouveau sans que les Etats Unis interviennent.

En mars 1975, devant la léthargie du Président Ford, le Président Thieu effectue deux retraits tactiques désastreux dans Corps I et Corps II, qui résultent à annihiler toutes les unités combattantes dans ces deux Corps. Quand le Général Weyand arrive au Vietnam dans une mission d'établissement des faits, il constate que les forces de l'ANV ont 200,000 hommes et 123 régiments tandis que les forces de l'ARVN ont 54,000 hommes et 39 régiments. Il recommande que le Président procure un fonds d'urgence de 750 millions pour reconstruire les forces armées du Sud Vietnam et les bombardements aériens des B-52s pour stopper l'avance des Communistes nordvietnamiens. Toutes les deux recommandations ont été rejetées, ce qui amène l'écroulement total du Gouvernement du Sud Vietnam en mai 1975.

En conclusion, comme c'était avéré dès le début, la Vietnamisation a échoué parce qu'elle ne permet pas une augmentation de troupes et de matériels du côté de l'ARVN pour répondre à l'augmentation de troupes et de matériels du côté de l'ANV. "Nous sommes devenus plus faibles," a dit le Général Hieu. Ce qui est déconcertant est que cet affaiblissement de l'ARVN a été un acte délibéré du gouvernement de Nixon dans le but de permettre à Hanoï de vaincre Saïgon, afin que les Etats Unis puissent rejeter la responsabilité sur le dos des troupes de l'ARVN et se retirer du Sud Vietnam sans perdre la face.


Nguyen Van Tin
31 March 2002.

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