La Frustration du Général Hieu

John Prados écrit dans The Hidden History of the Vietnam War (1995): "En 1975 Hieu était commandant adjoint de la région militaire de l'ARVN qui inclue Saïgon; il s'est suicidé quand la chute du Sud Vietnam est devenu apparente." Prados avait raison quand il affirme que "la chute du Sud Vietnam est devenu apparente"; mais il avait tort quand il pense que c'était la raison d'après laquelle le Général Hieu "s'est suicidé". Dans cet article, j'essaie de visualiser l'état d'âme du Général Hieu dans sa capacité de Commandant Adjoint du 3è Corps d'Armée en charge d'Opérations vers fin mars et début avril 1975, basé en partie sur les dernières rencontres entre mon frère et moi à l'époque, en partie basé sur les résultats de ma recherche récente à propos de ce sujet à travers les documents et entretiens avec les témoins de ce temps-là.

Au moment Ban Me Thuot et Danang succombaient, je vivais à Nhatrang. Mon frère téléphone au Général Le Van Than, qui était Commandant Adjoint du 2è Corps d'Armée en charge de Territoires, et lui demande de transmettre un message dans lequel il me conseille de quitter Nhatrang et d'aller à Saïgon le plus tôt possible car le Président Thieu a décidé d'abandonner le 1er et 2è Corps d'Armée. Le Général Than envoie son fils pour me faire parvenir le message. Il me fait savoir que dans quelques jours lui et sa famille s'embarqueront sur un navire militaire pour aller à Saïgon, et m'offre de les accompagner. Je refuse l'offre, et lui demande au lieu de cela de m'aider de me faire entrer dans l'aéroport, où un de mes neveux qui travaillait pour Air Vietnam me mettra sur un avion. A l'époque, afin d'empêcher le chaos qui s'était produit à l'aéroport de Danang de se répéter, le Général Phu a imposé une mesure de sécurité stricte à l'entrée de l'aéroport. Le Général Than a dû utiliser sa jeep personnelle d'une étoile pour me faire pénétrer à l'intérieur de l'aéroport. Ce qui m'a permis de prendre le dernier vol Nhatrang-Saïgon d'Air Vietnam.

Quelques jours plus tard, je me rends au quartier général du 3è Corps d'Armée à Bien Hoa pour visiter et remercier mon frère. Dans cette rencontre, mon frère apparaît très pensif. Son attaché me dit que mon frère venait juste de rentrer d'une tournée à Phan Thiet (plus tard, j'appris que mon frère était allé à Phan Thiet pour recevoir de la main du Général Phu les unités survivants du 2è Corps d'Armée à Lau Ong Hoang). Je lui ai demandé si nous sommes capables d'arrêter la poussée de l'ennemi. Il répond: "Nos troupes sont capables; nous manquons seulement de munitions; nos troupes peuvent tenir pendant deux mois au maximum puis seront à court de munitions." Je lui pose une autre question: "Pourquoi le Général Toan a été choisi comme Commandant du 3è Corps d'Armée?" Sa réponse était: "Le Président Thieu a dit que la situation militaire présente exige un général originaire de la branche blindée qui sait foncer." Tandis qu'il prononce ces mots il jette un coup d'oeil sur l'écran de la télévision où le Président Thieu est en train de se plaindre à toute la nation, et fait le commentaire: "Le chef d'une nation ne devrait pas pleurnicher ainsi, il vaudrait mieux qu'il laisse ses ministres parler à la population."

A l'époque, je ne prêtais pas beaucoup d'attention à notre échange. Mais maintenant, après coup, je pense que mon frère à travers son ton de voix sarcastique et l'expression méprisante de son visage apparaissait frustré du fait que ses talents militaires n'étaient pas utilisés par un président incompétent qui ne l'avait pas choisi, mais a plutôt choisi un général incompétent au poste de Commandant du 3è Corps d'Armée.

Ce fut la dernière fois que je vis mon frère. Quelques jours après, le 8 avril 1975, il a été assassiné au quartier général du 3è Corps d'Armée. Le jour suivant, 9 avril, la bataille de Xuan Loc débuta. Nos troupes ont pu arrêter l'avance ennemie pendant dix jours. Le 21 avril, le Président Thieu démissionne. Le 30 avril, l'ARVN est dissoute.

Vingt cinq ans après, je suis curieux de savoir si mon frère, dans sa capacité de Commandant Adjoint en charge d'Opérations du 3è Corps d'Armée, a aucun mérite dans la victoire de la bataille de Xuan Loc en particulier, ou a aucun plan de défendre Saïgon en général. J'ai trouvé quelques documents et j'ai contacté des témoins qui connaissaient mon frère à l'époque qui pourraient éclaircir mon enquête.

Basé sur son caractère personnel et sur sa formation dans le domaine de stratégie, il est certain que le Général Hieu a dû esquisser dans son esprit un plan qui aurait été complet et méticuleux pour repousser l'ennemi qui était sur le point de déferler dans la 3è Région Militaire. Le Colonel Le Khac Ly raconte dans Tears Before The Rain: An oral history of the fall of South Vietnam rédigé par Larry Engelmann (1990): "Je rends visite à mon cher et bon ancien commandant, le Général Hieu, qui était un officier vraiment honnête dans l'Armée. Je l'interroge sur le sujet de la situation dans la 3ème Région Militaire. Il me répondit que nous devons réorganiser et essayer de bloquer les avances des chars ennemis. Et quelques jours après il a été tué."

Mais personne ne savait en quoi le plan consistait. Je me suis enquis auprès des personnes suivantes: le Général Ly Tong Ba (Commandant de la 25è Division), le Général Le Minh Dao (Commandant de la 18è Division), le Général Tran Quang Khoi (Force de Frappe d'Assaut du 3è Corps d'Armée), le Général Dao Duy An (Commandant Adjoint du 3è Corps d'Armée/Territoires), le Général Nguyen Van Toan (Commandant du 3è Corps d'Armée), le Colonel Phan Huy Luong (Assistant au Commandant Adjoint du 3è Corps d'Armée/Opérations - Nota Bene: le poste de Chef d'Etat Major du 3è Corps d'Armée était assumé par le Général Le Trung Tuong), le Général Tran Dinh Tho (Chef du 3è Bureau, Etat Major Général), le Général Fred C. Weyand (Chef de la Délégation d'Etudes sur Place envoyé par le Président Ford pour évaluer la situation du Sud Vietnam vers fin mars 1975), Richard Peters (Consul Général Américain à Bien Hoa), Charles Lahiguera (Consul Général Adjoint Américain à Bien Hoa). Voici leurs réponses à ma question: Le Général Hieu a-t-il discuté à propos de son plan de défendre Saïgon avec vous?

- Ly Tong Ba: Dans l'après-midi du 8 avril 1975, je participais à une réunion présidée par le Général Toan. Le Général Hieu n'y était pas présent. Après la réunion, sur mon chemin vers le champ d'hélicoptère, je passais près du bureau du Général Hieu et vis un rassemblement de soldats en train de chuchoter à propos d'un incident parvenu au Général Hieu. Comme j'avais hâte de rejoindre mes unités d'urgence, je ne m'attardais pas pour suivre l'événement.

- Le Minh Dao: Il ne n'a pas parlé de ses plans. En fait, le 3ème Corps devait s'occuper de trois divisions, la 25ème à Tay Ninh, la 5ème à Lai Khe et la 18ème à Xuan Loc. Le Commandant de Corps laissait à chaque division la pleine responsabilité de défendre sa région opérationnelle. Si tout marchait bien, alors tout serait bon, mais si quelque chose allait mal, le commandant de la division serait foutu. Ce dernier avait la pleine autorité dans la disposition de ses troupes. Le Corps ne jouait qu'un rôle de soutien, et ne procurait aucune initiative. Par conséquent, la victoire de la bataille à Xuan Loc a été possible entièrement à cause de mes efforts et ingénuité et la 18ème Division. Néanmoins je dois dire que le 3ème Corps m'avait fourni un renforcement d'une Brigade de Parachutistes à la bataille de Xuan Loc.

- Tran Quang Khoi: Non, pas du tout. Mais il n'est pas nécessaire de le savoir, car en vue de la situation désespérée du moment, on se demande ce que le Général Hieu aurait pu bien faire? Le 8 avril 1975, à 8 heures du matin, le Général Hieu vint à Go Dau Ha par hélicoptère pour me voir. Après une réunion qui durait deux heures, le Général Hieu retourna à Bien Hoa à 10 heures. Dans l'après-midi, je reçus la nouvelle de sa mort.

- Dao Duy An: Non, pas du tout. Peut-être que vous devriez demander le Colonel Phan Huy Luong.

- Nguyen Van Toan: La situation aux champs de bataille était très sérieuse à l'époque et nous prenions tour pour superviser et commander les opérations. Le Général de Division Hieu démontrait toujours le plus haut degré de compétence et remplissait toujours ses devoirs admirablement. Moi-même, j'ai dû utiliser un mégaphone pour donner ordre aux soldats indisciplinés des unités dissoutes du 1er et 2è Corps d'Armée de ne pas entrer dans les environs de Saïgon et de se rallier à Vung Tau, et j'ai été forcé de menacer de faire les chars ouvrir le feu s'ils désobéissaient. Grâce à quoi Saïgon a été épargné du chaos qui s'était survenu à Danang.

- Phan Huy Luong: Non, pas du tout. Les deux Généraux se parlent seulement entre eux deux.

- Tran Dinh Tho: Pendant les jours qui précèdent la mort de Hieu, presque tous les soirs je prends l'hélicoptère pour aller à Bien Hoa pour conférer avec lui. Il était très chevronné en matière d'état major et comprenait la situation complètement. Bien souvent je passais la nuit dans son "trailer". (A ce point, au lieu de répondre à ma question, le Général Tho prenait la tangente) Une fois, j'accompagne Hieu dans une inspection d'une unité stationnée au Cambodge. Quand l'hélicoptère atterrit, nous sautons à terre et regardons aux alentours sans voir aucun soldat se montrer pour nous accueillir. Hieu était bien surpris: "C'est étrange: il n'y a pas de doute que nous nous tenons aux coordonnées de l'emplacement de l'unité. Sacré bleu, le commandant de l'unité a déplacé ses troupes sans aviser."

- Frederick Weyand: Il y a déjà bien longtemps; je ne me rappelle plus d'avoir rencontré le Général Hieu pendant ma mission d'étude sur place fin mars 1975.

- Richard Peters: Non. Officiellement, je rencontre presque chaque jour avec le Général Toan pour discuter les problèmes militaires dans le 3ème Corps. Mes rencontres en dehors des heures de travail avec le Général Hieu étaient sur le plan social. J'essayais de ne pas soulever les sujets militaires avec lui pendant ces occasions sociales. Le Général Hieu mentionne de temps en temps des acquisitions ou pertes territoriales causées par les unités militaires. Mais c'était tout.

- Charles Lahiguera: Non, le Général Hieu préconisait toujours la dignité nationale et ne discutait ces matières que parmi le cercle vietnamien. Néanmoins, dans le télégramme que le Consul Général américain à Bien Hoa envoyait au Secrétaire d'Etat pour faire le rapport au sujet de la mort du Général Hieu, l'une des théories avancées était que le Général Hieu a été tué parce qu'il conseillait de capituler afin d'éviter aux troupes de verser le sang inutilement.

Dans toutes ces réponses, soit que mes interlocuteurs n'étaient pas au courant du plan mais ne voulaient pas se prononcer (en particulier dans les cas de Tran Dinh Tho et Richard Peters), soit qu'ils ne savaient vraiment pas en raison de la discrétion du Général Hieu ou pour cause du besoin de sauvegarder le secret quand les espions s'étaient infiltrés à tous les niveaux militaires (un exemple typique, pendant la préparation de l'Opération Than Phong, seulement le Colonel Hieu et le Général de Brigade Vinh Loc, Chef d'Etat Major et Commandant du 2è Corps d'Armée étaient au courant de l'opération).

Le Général Hieu avait des raisons d'être réservé envers le Colonel Phan Huy Luong parce que celui-ci a été invité par le Général Nguyen Van Minh à assumer le poste de Chef d'Etat Major du 3è Corps d'Armée. Il faut savoir que le Général Minh était celui qui avait expulsé le Général Hieu de la 5è Division en juin 1971 et rempli les postes clé du 3è Corps avec ses larbins de la Bande Delta.

Les Généraux Ly Tong Ba, Le Minh Dao et Tran Quang Khoi n'ont pas été mis dans la confidence de ses plans par le Général Hieu parce que, en tant que Commandant Adjoint du 3è Corps d'Armée, il ne détenait pas une autorité directe sur eux; il exerçait seulement le rôle de moniteur et rapporteur au Commandant du Corps et relayait les ordres de ce dernier aux Commandants de Division. Envers ceux-ci (Commandants de la 25è, 18è Divisions et de la Force de Frappe d'Assaut du 3è Corps d'Armée), aussi bien qu'envers le Général Le Nguyen Vy de la 5è Division (décédé), le Général Hieu seulement supervise et aide dans la défense des régions opérationnelles appartenant à la division de chacun. En matière de stratégie au niveau de corps d'armée, il est évident qu'ils ne sont pas consultés. Par exemple, quand il est déterminé que les Communistes ont choisi Xuan Loc comme principal champ de bataille au lieu de Tay Ninh, le Commandement du 3è Corps d'Armée renforce la 18è Division avec la 1è Brigade de Parachutistes (à ce moment-là le Général Hieu était déjà mort); et en même temps, la Force de Frappe d'Assaut du 3è Corps d'Armée se déplace de Go Dau Ha, près Tay Ninh, de l'ouest à la Jonction Dau Giay près Xuan Loc, à l'est, afin de protéger Bien Hoa au cas où le front à Xuan Loc est perforé. Et quand la situation montre que la 18è Division ne peut plus tenir sa position, le 20 avril 1975, le Commandement du 3è Corps d'Armée donne l'ordre à la 18è Division de se retirer à Phuoc Tuy.

Bien que la femme du Général Tran Dinh Tho soit apparentée à la femme du Général Hieu, celui-ci pourrait demeurer réservé envers le Général Tho qui était proche du Général Cao Van Vien et du Général Thieu. Ces deux généraux tenaient le Général Hieu à l'écart. Tandis qu'il fraternisait avec Tho, Hieu avait bien conscient que tous ces mots et gestes seraient rapportés à ces deux généraux.

Quant au Général Toan, il est évident que le Général Hieu; en tant que homme juste, était obligé de rester extrêmement réservé en face d'un homme mesquin. Le Général Hieu savait qu'il n'était pas apprécié quand le Président Thieu nomma le Général Toan au Commandement du 3è Corps d'Armée et quand par la suite ce dernier nomma le Général Le Trung Tuong Chef d'Etat Major du 3è Corps d'Armée. Le Général Hieu se moque du Général Toan pour savoir seulement foncer sans réfléchir. Le Général Hieu démontrait toujours le plus haut degré de compétence et remplissait toujours ses devoirs admirablement, comme l'a remarqué le Général Toan, mais il ne se portait pas volontaire au-delà de ses devoirs, non par manque de devoir mais parce qu'il n'était pas apprécié. En plus, comme Richard Peters a fait la remarque, "S'il y avait certains désaccords entre les deux, j'ai l'impression que le Général Hieu, tout discipliné qu'il était, se serait conformé à la commande du Général Toan."

Le Général Le Minh Dao dit que le Général Hieu ne posait jamais ou presque pas de questions; il regardait simplement avec ses yeux perçants, et n'offrait ses opinions que lorsque on lui posait la question. Le 6 avril 1975, quand le Président Thieu convoque le Général Hieu au Palais Présidentiel en consultation, ce dernier épelle son opinion. "Oncle Huong, [le père du Général Hieu], dit à Xuan que ce matin-là Hieu a récemment refusé de couvrir une faute commise par un des amis de Thieu. Il s'est aussi ouvertement opposé au plan de retrait des troupes des zones stratégiques vitales, "l'abandon de plus en plus de territoires aux communistes" (Le Destin d'un Patriote). Il n'y a pas de doute que le Président Thieu a demandé au Général Hieu de lui donner son opinion stratégique concernant comment faire face à la situation critique et il est vraisemblable que le Général Hieu a présenté une analyse compréhensive de la difficile situation militaire qui a atteint une impasse irrémédiable, et sans tergiverser a conseillé de capituler afin d'éviter aux troupes de verser le sang inutilement. (Selon Charles Lahiguera).

Quand le Général Frederick Weyand dit, "Il y a déjà bien longtemps; je ne me rappelle plus d'avoir rencontré le Général Hieu pendant ma mission d'étude sur place fin mars 1975", il dit la vérité, parce que quand je lui demande s'il avait rencontré le Général Hieu en 1970, lorsqu'il tenait la position de Commandant Adjoint de la MACV et le Général Hieu était Commandant de la 5è Division, sa réponse est négative. Cependant, j'ai trouvé une copie du journal de la 5è Division gardée à National Archives dans laquelle il est noté que LG Frederick C. Weyand, Commandant Adjoint de MACV, a rendu une visite de courtoisie au MG Hieu, Commandant Général de la 5ème Division le 4 Septembre 1970. J'ai vérifié ce point auprès de Richard Peters, Consul Général américain, en lui posant la question, Est-ce que le Général Hieu a briefé le Général Weyand quand il était venu au 3ème Corps? , sa réponse est, Je ne sais pas, comme je n'ai pas arrangé l'horaire du Général Weyand. Le Général Weyand a parlé avec quelques Vietnamiens à Long Binh avant de venir au 3ème Corps et je lui ai parlé personnellement.

En plus, je demande au Général Weyand au sujet de Clinton Granger qui a écrit dans un mémorandum adressé au Général Scowcroft le 5 avril 1975, Il a exprimé son inquiétude au sujet de la viabilité politique du Président Thieu, et au sujet des capacités de plusieurs généraux dans l'Armée vietnamienne; il présentera ces points au Président. Quels étaient les généraux dont il faisait allusion? Le Général Weyand répond qu'il ne se souvient pas que Clinton Granger faisait partie de sa délégation et non plus du sujet en question.

Je crois que le Général Weyand pourrait ne pas rencontrer le Général Hieu en privé, mais quand sa délégation vint au quartier général du 3è Corps d'Armée pour écouter le briefing sur la situation du 3è Corps d'Armée, l'un des présentateurs aurait été le Général Hieu, non seulement à cause de son rôle de Commandant Adjoint/Opérations, mais également parce que personne n'était capable de donner un briefing militaire en anglais aussi couramment que lui (selon l'opinion d'un correspondant de l'agent de presse UPI).

Dans le mémorandum que le Général Weyand présente au Président Ford le 4 avril 1975 à la suite de sa tournée d'étude sur place, il inclue les deux rubriques suivantes: III. Les Plans et Intentions du Gouvernement du Vietnam et IV. Les Possibilités Présentes.

III. Les Plans et Intentions du Gouvernement du Vietnam

Le GVN a ce qu'il appelle un "plan stratégique" mais il est en train d'être révisé presque chaque jour à la lumière des événements. Une semaine auparavant (le 25 mars) il envisage une enclave à Da nang et une ligne de défense ancrée à la région côtière à Binh Dinh ou, échouant cela, juste au-dessous Tuy Hoa dans la province de Phu Yen. La ligne contemplée traverserait les provinces de Tuyen Duc et Lam Dong, puis passerait par Xuan Loc dans la province de Long Khanh et aboutirait à Tay Ninh. Depuis que le plan est développé, Da Nang a tombé, la position du GVN dans la région côtière de la RM 2 a effondré au nord de Cam Ranh.

Le GVN a l'intention de réorganiser et remettre en état les unités décimées de l'ARVN et des Marines dans les batailles du mois dernier avec la rapidité possible. Il a également l'intention de prendre les démarches pour augmenter la force de l'ARVN en promouvant un grand nombre d'unités territoriales et de groupes de Rangers. Le succès de tout ceci dépendra sur un degré auquel l'AFRVN est capable de corriger les déficiences sérieuses au plan de commande et de contrôle et de ses capacités de traduire les plans en action coordonnée. Le Président Thieu et le Général Vien sont conscients de ce besoin et ont promis de l'action corrective.

IV. Les Possibilités Présentes

Ce qui se passe au Sud Vietnam dans le mois prochain, pour ne pas dire un horaire plus long, dépend largement de ce qui est fait--ou n'est pas fait--par le Nord Vietnam, le GVN, et les Etats Unis pendant les deux ou trois semaines et même les quelques jours suivants.

À moins que les Forces nord-vietnamiennes soient en quelque manière contrôlées en bataille ou que Hanoi soit persuadé à un répit par quelque forme de persuasion diplomatique ou autre, le Nord Vietnam battra le GVN militairement. Il n'y a pas d'évidence que le Nord Vietnam est en train de développer des problèmes logistiques ou commence à manquer de provisions. La marche vers le sud d'une, ou de deux, des cinq divisions d'Hanoi maintenant dans la RM 1 serait suffisant pour donner le coup de grâce à la position du GVN à la RM 2 côtière. Si l'une des cinq divisions d'Hanoi déjà dans la RM 2 serait amenée dans la RM 3, en particulier si renforcée par l'armée blindée et l'artillerie, cela ferait pencher la balance présente des forces dans la RM 3. Les forces du GVN dans le Delta ont la main pleine avec les troupes de l'ANV déjà dans cette région, et la RM 4 ne pourrait pas tenir si la RM 3 s'effondre à la veille des défaites dans la RM 1 et RM 2.

L'image ci-dessus pourrait être changée comme le GVN déploie dans la RM 3 les unités reconstituées des unités restantes de la RM 1 et la RM 2. Ceci, cependant, exige du temps pour réorganiser et rééquiper. Les chances sont qu'au point de vue de capacité, les Nord-vietnamiens peuvent se déplacer et engager les divisions existantes dans le SVN plus rapidement que le GVN peut former les nouvelles divisions.

Quant au GVN, quelques démarches--dramatiques et concrètement efficaces--doivent être prises non justement pour prévenir une détérioration à court terme dans la position militaire du GVN dans la RM 3, mais également--et peut être plus important--pour donner à la population, et à la FARVN, un soulèvement psychologique et confiance dans le leadership au sommet du GVN. Dans la sphère du moral, le Sud Vietnam--au moins dans la RM 3, y compris Saïgon--est très proche au bord de glisser dans une sorte de désespoir et de défaitisme qui pourraient rapidement saper la structure entière.

Ces pensées et évaluations du Général Weyand, si elles étaient ou pas influencées par, au moins elles étaient semblables aux pensées et opinions du Général Hieu à ce moment-là.

Si le Général Weyand ne rencontrait pas le Général Hieu en privée, Clinton Granger, un membre de la délégation Weyand, après s'être entretenu avec le Général Toan, aurait certainement cherché à rencontrer le Général Hieu, dont le bureau était adjacent à celui du Général Toan.

Quelques opinions du Général Hieu apparaissent également dans le mémorandum de Clinton Granger. Il a prédit, "nos troupes peuvent tenir pendant deux mois au maximum puis seront à court de munitions."; Clinton Granger a écrit, "Sans l'assistance substantielle des Etats Unis, je ne pense pas que le GVN survivra jusqu'à fin avril. Avec un remplacement rapide des armes-clé par les Etats Unis, la situation pourrait être tenue jusqu'à mi ou fin mai..." Le Général Hieu a dit au Colonel Le Khac Ly que "nous devons réorganiser et essayer de bloquer les avances des chars ennemis"; Clinton Granger a écrit, "le Général Toan regarde l'armée blindée de l'AVN comme menace primordiale. Il désire des chars supplémentaires pour faire face contre cette menace, mais nous n'avons pas discuté l'efficacité des missiles anti-chars TOW montées sur des véhicules blindés M113 comme une alternative. (Plus tard j'ai déterminé indépendamment que l'ARVN a suffisamment de lances TOW et des véhicules blindés M113 pour être utilisés ensemble comme un outil militaire efficace, et qu'ils ont développé des adaptations locales pour monter les TOW sur ces véhicules. Cependant, les véhicules et les TOW sont éparpillés partout dans les unités de l'ARVN, et la probabilité de rassemblement et d'ajustement est basse.)"

Le Général Hieu était frustré parce que Thieu était incompétent et refusait d'utiliser les généraux compétents, y compris lui; par contre, il a utilisé des généraux qui étaient à la fois incompétents et corrompus, et s'était entouré d'un conseil de béni-oui-oui (Khiem, Vien, Quang). Il critique directement au visage de Thieu pour avoir pris une décision irréfléchie de retirer les troupes avec hâte du 1er et 2è Corps d'Armée, et en faisant ainsi de précipiter rapidement la situation militaire au point de désespoir total. Il était également attristé par le fait que la vie des soldats a été considérée comme sans poids par les dirigeants militaires qui les prennent pour des pions insignifiants qu'on pourrait dispenser à gré. A l'enterrement de mon frère, un commandant de bataillon, vêtu de sa tenue de combat couverte de poussières rougeâtres, revenant du champ de bataille de Xuan Loc pour rendre hommage à son chef, m'a dit à la sortie: "Quand il nous a donné l'ordre de défendre à tout pris un emplacement stratégique, nous l'obéissions aveuglément, sachant qu'il ne nous abandonnera jamais." Quand la vie des soldats dépendait de lui, le Général Hieu lançait seulement une attaque que lorsqu'il était certain de la victoire; et quand il devait défendre un poste, il venait toujours au secours avec une force de secours (FOB2, Duc Co, Pleime), et dans le cas où le poste ne pourrait pas être défendu, il faisait recours avec habileté aux tactiques de fuite et d'évasion (Than Man, Snoul), et ne préconiserait pas de forcer les soldats à défendre le poste à tous prix avec futilité, simplement pour couvrir la carence en matière de talents militaires (manque de prévoyance, manque de planification bien réfléchie) chez les dirigeants militaires. Le Général Hieu aimait ses soldats; et ils le savaient bien. Chap, un commandant ranger, confie: "Le général Hieu était mon idole et je le connaissais depuis le jour où il vînt à la 5è Division. A l'époque, j'étais avec une unité de renfort qui sautait dans une région trans-frontalière et nous étions sous son extrême soin. Lorsque nous étions sur le point d'entrer à Krek, il donna l'ordre de nous replier quand l'autorité supérieure soudainement retira l'accord obtenu au préalable d'employer le soutien aérien des B-52 qui q été incorporé dans le plan opérationnel. Il dit, "Sans soutien, je refuse d'engager mes troupes au combat." Il était un général intègre, un général qui savait prendre grand soin de ses hommes et était vertueux. Il mérite ma profonde admiration."

Nguy­en Van Tin
12 juillet 2003

Mis à jour le 14.08.2003

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