La Déchéance
(en souvenir de la disparition du Général HIEU)

Face aux tueurs à gages chevronnés et diaboliques, les victimes désignées, à savoir les chefs militaires honnêtes et qui ne demandent qu'à sacrifier leurs vies au service de la nation, ont été éliminées une à une et ce pour une simple raison: ceux-ci se situent volontairement en dehors du circuit "militaro mafieux". Ils ne se préoccupent pas de leur assouvissement personnel comme font la plupart de leurs collègues.

Le Général Hieu est tombé sous les balles de ses compagnons servant sous la même bannière que lui, ces frères d'armes dont beaucoup ont partagé tant de moments cruciaux, de vie ou de mort ensemble. Il est mort à cause de son intégrité et de son refus de coopérer avec les nomenklaturas corrompues.

Les pleurs de sa jeune épouse, brisée par l'insoutenable douleur se mélangent avec ses propos d'accusateurs envers le groupe oligarchique fendent le coeur de son entourage. Il est difficile de retenir ses larmes devant ce déchirement dû à cette disparition brutale.

- "Vous avez tué mon mari!...Oui, vous êtes une bande d'assassins! Rendez-le moi!... Vous l'avez assassiné!"

Ses proches essayent de la retenir en la consolant comme ils peuvent. Mais les mots ne suffisent plus face à cette atroce douleur et à cette haine à l'état pur. Sortant du tréfonds d'elle les mots, les phrases incompréhensibles pour tous, mais sûrement cohérents pour elle-même, l'unique initiée de ce drame prévisible: Elle seule, qui fut le témoin de tant de longues nuits blanches de son époux, de son visage anxieux et de ses longs soupirs tout en évitant de répondre à ses questions. Elle, dont l'intuition lui fait comprendre depuis bien longtemps d'où venait ses angoisses, mais aussi a la certitude de connaître de quoi était la cause de cette mort cruelle.

Ses hurlements continus à déchirer le silence, l'atmosphère est pesante pour tous ces visages de circonstances, tous ces condoléances hypocrites venant des soi-disant "amis" du défunt: "Vous avez tué mon mari! C’est vous les bourreaux!"

Ce matin là, le ciel est gris et semble comporter la prémonition d'un grand malheur. Pas une goutte de pluie ni un rayon de soleil. Saigon devient en ce jour un chaudron dans lequel l'air est suffocant, presque irrespirable. La situation du pays devient de plus en plus désespérée. Partout, les batailles sont âpres, les VC attaquent sur tous les fronts. Le Delta du Mékong comme la région centrale sont à feu et à sang, le pays entier est submergé par la menace de la mort.

Cam Ranh, Ba Me Thuoc, Hue, Nha Trang, Phan Thiet, Da Nang…et presque la totalité de la 1ère et 2ème région militaire reçoivent l'ordre du Président Thieu de replier au plus vite. Quel lamentable spectacle se déroule suite à cette décision, les évacuations brutales devant le rouleau compresseur communiste occasionnent la panique générale. Combien de cadavres s'éparpillent sur les routes? La faim et la soif frappent sur les réfugiés. Les épouses s'expirent dans les bras de leurs maris, les bébés couverts de sang restent inertes sur la poitrine de leurs mères! Et voilà que les pillages, les tueries abominables surviennent. Et comme cela ne suffisent pas, les projectiles de toutes sortes provenant Dieu sait d'où, de l'ennemi ou d'ami, on ne saura jamais, commencent à s'abattre impitoyablement sur les colonnes des fuyards créant ainsi un "sauve-qui-peut" indescriptible.

La situation de mars et avril 1975 était terrifiante pour le peuple Vietnamien, difficile d'oublier ces moments chaotiques. Paradoxalement, Saigon reste la même, scintillante de mille feux. Elle se trouve dans une insouciance trompeuse, voulu par l'autorité d'état. "La perle de l'Orient" regorge de la classe dirigeante de tous poils. Des clans différents s'opèrent, et grâce à la complicité du pouvoir, ils ont les mains libres et se donnent à cœur joie en puisant dans les réserves nationales.

Entre temps, l'office de la guerre psychologique proclame dans tout pays le décret concernant la prohibition de la corruption. Le journal Dieu Hau imprime deux slogans résumant ainsi l'opinion générale à propos des quatre généraux "les plus corrompus": Tri, Quang, Lan, Quang et aussi les quatre reconnus comme des "propres": Thang, Thanh, Chinh, Truong; ce journal ajoute également un cinquième nom, celui du Général Hieu.

Ce dernier vient de perdre son commandement de la 5ème Division. En dépit de la perte minimum en vie humaine, il a de la compassion pour ceux qui sont tombés inutilement au Cambodge. Il a aussi du mal à accepter l'abandon d'une grande quantité de matériels de guerre dû à un retrait précipité provoqué par l'incapacité du commandant en chef opérationnel.

Par la suite, cet intègre Général a été condamné injustement comme étant le responsable principal du désastre. La démise de ses fonctions est ressentie comme un moyen détourné afin de débarrasser de l'un des opposants à la spoliation en règle des biens de l'état orchestrée par la classe dirigeante.

Grâce à sa droiture et sa servitude envers le pays particulièrement en cette période critique, et par un curieux hasard, le sort a voulu qu'il soit tomber sur la proposition du vice Président Huong de devenir son bras droit pour éradiquer la corruption généralisée, surtout au sein de l'armée.

Après quelques mois de travail acharnés, il a réussi à découvrir les coupables dans l'affaire de détournement du fond de retraite de l'armée tout en évitant de tomber dans les pièges tendus par ses ennemis. Il a trouvé par la même occasion une grande consolation auprès du vice-Président Huong, lequel déjà très âgé mais son patriotisme rayonne, amenant ainsi une admiration sans borne de la part de Hieu.

Le Général Hieu présente le compte rendu de sa mission directement à la télévision. Il démontre sa découverte d'un "trou" énorme dans la caisse de retraite militaire. Il s'avance coûte que coûte, assume sa responsabilité dans les investigations en ne cédant à aucune pression d'où qu'elle vienne. Malheureusement, Huong, à son grand désarroi, est obligé de le renvoyer à l'armée, car en dépit de sa haute fonction et la collaboration efficace de son poulain Hieu, l'argent (sale) reste le plus fort.

Hieu retourne à la case de départ et occupe d'abord la fonction honorifique de commandant adjoint du 1er Corps d'armée, ensuite celle du 3ème sous l'autorité du Général Toan.

Dans le sillage du parcours exemplaire d'un général intègre comme celui de Hieu, sa femme et ses enfants mènent une vie simple à l'image de la plupart des gens. Une maison achetée à crédit dans le quartier des officiers de Chi Hoa. Lui-même vit chichement dans les studios officiels au gré de ses mutations. Il se nourrit uniquement au mess des officiers, et de temps à autres, à la fin de service, assiste à la séance de cinéma ou une soirée musicale à l'invitation du consul Américain de Bien Hoa.

Le matin où la catastrophe lui tombe dessus, le 8/4/75, un bombardier décollant de Bien Hoa largue deux bombes sur le palais présidentiel mais rate l'objectif, ne causant que peu de dégât et pas de perte humaine.

Le crépuscule arrive et le couvre-feu de 24/24 est maintenu. Saigon est isolée, l'atmosphère est de plus en plus insoutenable. Une sonnerie résonne dans le foyer de HIEU apprenant à son épouse que ce dernier est "blessé" et lui dit d'attendre d'autres informations. Madame Hieu est perplexe et pleine d'inquiétude pour le sort de son mari. Une tristesse profonde envahit le demeure dans l'attente d'un autre appel fatidique.

- Ring, ring, ring…

Madame Hieu attrape le combiné avec empressement:

- Quoi? Voudriez-vous me le répéter?

Soudain, elle devient blême, l'hébétude empêche les paroles sortir de sa bouche, elle semble sur le point de s'évanouir:

- Répétez…comment?...Non, ce n'est pas possible!

Sous le choc, elle jette le combiné à terre, les mains tremblantes couvrent le visage, elle hurle pathétiquement en s'approchant de ses jeunes enfants.

- Ils ont assassiné votre pauvre père! Il est mort, il est vraiment mort!

Sa tête est incapable de contenir tant de pression, les veines semblent sur le point de s'éclater d'un seul coup. Elle essaie de rester digne mais les larmes coulent abondamment malgré elle. Son cœur est broyé par des mains invisibles. Les cheveux tombent sur ses frêles épaules et les larmes continuent à couler de plus belle, à demi inconsciente elle tombe dans les mains de son fils aîné ! A son réveil, elle demande qu'on l'amène à Bien Hoa. L'extrême douleur revient soudain, elle s'éclate en sanglot et appelle au secours:

- Mon Dieu! Sauvez mon mari, il me reste encore Dung aux champs de bataille, comment le faire revenir? Que doit-je faire, son père est mort assassiné! On va le tuer, lui aussi. Ils ont tué mon mari! Oh Dung, Cam, Thu, Ha… !

A Bien Hoa, on l'amène au bureau de son mari. Elle le trouve inerte, vautré sur sa table de travail. Elle remarque une chose étrange: aucune trace de sang, à part d’un petit point rougeâtre à gauche du menton. Le beau visage du défunt, à cause de la trajectoire de la balle, de bas en haut, se transforme en une grimace avec les deux yeux largement ouverts comme s'il n'attendait pas à voir venir cette mort subite.

Le lendemain, les journaux annoncent à leurs unes le gros titre disant que le Général Hieu a été mortellement blessé en nettoyant son arme. Les cérémonies funèbres sont célébrées conformément aux règles militaire; et selon le vœu de la jeune veuve, son mari sera enterré au nécropole militaire de Bien Hoa, un havre de paix, un lieu de repos éternel pour le Général Hieu.

Khiết Anh
Traduit par Thạch Ngọc Long

generalhieu