Mon Frère, Le Général Hieu

Mon frère et moi n'étions pas très proches: en partie en raison de notre grande différence d'âge, et en raison de nos professions divergentes. Il a choisi d'être un soldat affectant au front, dans les postes militaires isolés, j'ai préféré enseigner, à l'arrière, dans les grandes villes animées. Cependant, en raison de nos liens fraternels, je possède des souvenirs et des expériences avec lui dont d'autres n'ont pas idée. Ici, je souhaite partager mes expériences personnelles avec les lecteurs, en particulier avec ceux qui ont entendu parler du Général Hieu et qui l'ont tenu en haute estime.

Sa Jeunesse.

Mon frère est né à Tien-Tsin, en Chine et a grandi à Shanghaï, dans la concession française. C'était pourquoi il a reçu une éducation multi-culturelle et est parvenu à devenir polyglotte. Il était particulièrement doué en français, anglais, allemand et mandarin. Mon père m'a dit qu'il a rarement vu mon frère étudier à la maison comme les élèves le faisaient à l'époque, ce qui ne l'a pas empêché de toujours se classer premier de sa classe et ceci de façon naturelle. Mon père m'a également dit que mon frère possédait une mémoire éléphantesque: il n'oublie jamais ce qu'il a vu même une seule fois. Mon frère termine le secondaire au Collège Français avec le Baccalauréat Français en Mathématiques.

Quand les communistes chinois ont occupé Shanghaï en 1949, notre famille a été rapatriée par un destroyer français naviguant de Shanghaï à Saïgon, Sud Vietnam. Cette année-là, mon frère était dans sa première année universitaire, spécialisé en technologie à l'université Aurore, dirigée par les Jésuites français.

Après deux mois à Saïgon, notre famille s'est remontée au Nord à Hanoi où notre père a assumé la fonction de directeur adjoint de la Police et Sûreté du Nord Vietnam. Pendant les premiers mois, mon frère a donné des leçons d'anglais privées à quelques jeunes dont l'ambition était d'aller aux Etats-Unis afin de poursuivre les études universitaires. Bien qu'une loi de mobilisation générale ait été promulguée, défendant aux jeunes de sortir du pays, mon père a osé délivrer des passeports à un certain nombre de religieux catholiques et à beaucoup de jeunes, y compris des jeunes hommes en âge de combattre, qui désiraient aller aux Etats-Unis. Mon frère pourrait avoir bien facilement rejoint ces groupes d'étudiants. Cependant, il a choisi de rester dans son pays et de servir sa patrie.

Pendant qu'il attendait d'entrer dans l'école militaire, mon frère nous a souvent amené mes amis d'enfance et moi, passer du temps en canoës et aux périssoires dans le lac de Ho Tay. Je me rappelle bien clairement, qu'une fois, il y avait seulement mon frère et moi ...plus une jeune fille charmante! Mon frère et elle pédalaient à bicyclettes côte à côte le long d'un sentier rural, entouré de bambous, sans échanger un mot. À ce jeune couple, le paysage n'avait pas pu être plus romantique pour un moment comme celui-là! Quant à moi, j'étais assis en silence derrière la selle de mon frère. Tout à coup, il chuchota dans mon oreille: "pourquoi ne sautes-tu pas à l'autre bicyclette?" Je me laissai tomber hors de la selle, me dirigeai sur la pointe des pieds vers l'autre bicyclette et sautai à cloche-pied sur la selle de derrière, surprenant notre jeune fille charmante qui perdit momentanément l'équilibre, mais qui réussit néanmoins à stabiliser sa bicyclette après quelques tergiversations. Elle s'exclama: "Espèce de diablotin!" avec une voix évidemment amusée qui dénotait son plaisir de notre action préméditée! Je ne soupçonnais pas que je jouais le rôle d'un chaperon à ce moment-là!

En 1950, mon frère est allé à Dalat pour joindre l'Académie Militaire Vietnamienne, qui était encore dirigée par des officiers français. Mon père à son retour après avoir assisté à la cérémonie de remise des diplômes de mon frère m'a dit: "Un instructeur français a dit que ton frère a reçu son diplôme avec la plus haute distinction, cependant il n'a pas été nommé premier de sa promotion, parce que cet honneur a été réservé à un camarade issu de la région du centre du Vietnam, la même que celle de sa majesté Bao Dai qui était présent à la cérémonie." Pas longtemps après, mon frère a contacté la tuberculose et a dû être admis dans l'hôpital de Lanessan. Heureusement pour lui, Pasteur venait juste de découvrir le traitement thérapeutique de cette maladie qui avait tué quelques années auparavant, ma mère et mon frère aîné. Je me rappelle qu'il a été permis de se récupérer pendant une assez longue durée à la maison. Pendant ce temps, j'ai souvent entendu les sons mélodieux de son violon provenant de sa chambre, et j'y entrais souvent pour qu'il m'enseigne à jouer à la guitare. Ne voulant pas suivre l'exemple des autres officiers qui ont saisi le prétexte de cette grave maladie pour demander d'être honorablement déchargé de l'armée, mon frère choisit d'y rester.

Après sa convalescence, il a été envoyé au sud et affecté à l'Etat Major Général, situé dans la rue de Tran Hung Dao, à Cho Quan. Il logeait dans le quartier réservé aux officiers célibataires. M. Tran Ngoc Nhuan, sous-lieutenant à cet époque-là, a eu la remarque suivante au sujet de la personnalité de mon frère dans sa mémoire Doi Quan Ngu (Ma Vie Militaire): "Je réside dans le quartier réservé aux officiers célibataires et ai eu comme camarade de chambre lieutenant Nguyen Van Hieu. Depuis lors nous avons appris à bien se connaître. Il était un officier aimable, religieux et poli, extrêmement serviable envers ses camarades." (page 59). Pendant l'été 1954, mon frère est revenu à Hanoi pour se marier. Le 6 juillet 1954, Nha et moi étions présents à son mariage. A ce moment là il était déjà capitaine. Ensuite notre famille repartit vers le sud. Après quoi, nos voies se sont séparées et nous nous rencontrions que très rarement.

Un Général Incorruptible

Bien que son nom n'ait pas été inclus parmi les quatre généraux intègres (primo Thang, secundo Thanh, tertio Chinh et quarto Truong); ce refrain en vogue, vantant les mérites de ces généraux "propres" était assez connu de la population, parce que quand cet "air à la mode" circulait, il était encore un inconnu, se cachant derrière le Général Do Cao Tri (la plupart des exploits militaires du Général Tri, que le Général Westmoreland considérait comme le Patton du Vietnam, ont été conçus et exécutés par mon frère). Cependant, de temps en temps j'ai lu des articles de journaux et de revues félicitant l'honnêteté exceptionnelle de mon frère, en particulier dans la revue de Dieu Hau. En raison de sa réputation en tant que général intègre, le Vice-président Tran Van Huong, à qui le Président Thieu a confié la tâche de combattre la corruption dans le gouvernement, a nommé mon frère au titre d'Assistant Spécial chargé de ce dossier difficile auprès de lui.

Dans cette nouvelle charge, il a provoqué un séisme à l'échelle nationale lorsqu'il a osé dénoncer le détournement des fonds de pension de retraite de l'armée. La pression provenant de différents côtés essaie d'avertir mon frère de ne pas continuer plus loin ces investigations qui l'auraient conduit au sommet de la pyramide de la corruption. J'ai vu une longue file d'amis de mon père venir à la maison comme des émissaires spéciaux avec l'intention de persuader mon père d'intervenir auprès de lui pour qu'il ne frappe pas trop fort. Apparemment, ces interventions derrière les coulisses n'ont pas réussi à dévier sa détermination. Il m'a dit qu'afin d'empêcher que les résultats de l'enquête ne soient pas ignorés et rejetés par les autorités, il a décidé de prendre les devants en apparaissant à la télévision la nuit précédente du jour où le dossier serait officiellement soumis au Président Thieu, créant ainsi un fait accompli. Et ainsi, pendant plusieurs nuits, tout le monde a les yeux collés sur l'écran de télévision pour suivre avec intérêt sa série de conférences de presse. J'ai fait la même chose, toutefois avec une certaine fierté d'être le jeune frère du conférencier audacieux et pertinent. L'un des résultats de ce scandale fut la démission du personnel responsable des fonds de pension de retraite de l'armée, y compris le ministre de la défense nationale.

Chaque fois que j'ai eu l'occasion de venir à Saïgon, j'avais l'habitude de rendre visite à sa famille demeurant dans le quartier des officiers à Chi Hoa. Sa maison - sis au lot QQ18 - était une maison modeste, jumelant avec une autre, et avait un petit morceau de terrain supplémentaire. Je me rappelle que la plupart des généraux de cette époque vivaient plutôt dans des villas somptueuses. De temps en temps, j'étais chanceux de le rencontrer chez lui, en famille pendant ses rares permissions. Dans une de ces retrouvailles, il s'est confié à moi en disant que son traitement d'officier ne lui permet pas d'inviter ses amis d'aller au restaurant et qu'il devait se contenter de les recevoir à la maison. Il m'a également dit que d'habitude, vers la fin de chaque mois, ma belle-soeur se plaignait que la famille était déjà à court d'argent! Une autre fois, il me montra une voiture américaine de marque Falcon (un privilège du gouvernement réservé aux généraux), avec le moteur tournant au ralenti dans la cour et dit: "Heureusement, le bureau du Vice-président fournit une ration d'essence supplémentaire pour permettre de réchauffer le moteur de temps en temps; autrement la voiture serait endommagé par l'inaction!"

Un Général Compétent

En plus d'être un général incorruptible, il était également un général compétent. Sur ce compte, en dehors du cercle militaire, en particulier des officiers supérieurs, peu de gens ont connu cet aspect caché de mon frère. Un correspondant de l'agence de presse d'UPI a félicité mon frère en me disant: "Très peu d'officiers de l'ARVN sont capables de donner un briefing militaire en anglais aussi aisément que le Général Hieu." Un général américain, le Général Charles J. Timmes, je crois, m'a dit: "Dans l'ARVN, peut-être seul le Général Hieu a la capacité et le charisme de commander un corps d'armée avec efficacité; les autres généraux sont seulement capables de commander des troupes qu'à l'échelon de la division."

Je pense que les généraux de l'ARVN, en toute objectivité, ne considèreraient pas cette remarque comme exagérée. Le Général Vinh Loc a écrit:

Le terrain et l'emplacement de notre pays, au point de vue d'opération de grande envergure, ne fournissent pas les conditions propices pour déployer simultanément trois régiments avec leurs troupes de support. Depuis la création de la division jusqu'à la débâcle des Hauts Plateaux, aucune région tactique militaire n'avait lancé une opération qui utilise une division entière, à savoir les 3 régiments d'infanterie, avec leurs bataillons d'artillerie, de génie et de chars, etc... Même si on le voudrait, on n'aurait pas assez d'espace permettant le déploiement d'une Division complète, pour ne pas mentionner que très peu de commandants ont suivi une formation adéquate à cette fonction c'est-à-dire le commandement d'une Grande Unité. (Lettre à un ami américain, page 71).

J'ai rencontré le Général Tran Van Don en 1978, quand il est venu à New York pour participer à un colloque sur le Vietnam et pour présenter son livre qui venait d'être publié, Our Endless War: Inside Vietnam, (qui a été plus tard traduit en Vietnamien sous le titre Viet Nam Nhan Chung en 1989). Après que je me sois présenté comme le frère du Général Hieu, il m'a dit: "Si l'ARVN a eu plus d'officiers aussi compétents que le Général Hieu, le Vietnam n'aurait pas été perdu." Le Général Don connaissait bien mon frère parce que celui-ci a débuté sa carrière militaire comme lieutenant sous son commandement lorsqu'il était Colonel Chef D'Etat Major à Cho Quan. Mon frère l'a suivi à Danang lorsqu'il a été nommé Général Commandant du 1er Corps.

À l'enterrement de mon frère, un commandant de bataillon, vêtu de sa tenue de combat couverte de poussières rougeâtres, revenant du champ de bataille de Xuan Loc pour rendre hommage à son chef, m'a dit à la sortie: "Quand il nous a donné l'ordre de défendre à tout pris un emplacement stratégique, nous l'obéissons aveuglément, sachant qu'il ne nous abandonnera jamais." Cela dit, il s'est dépêché de remonter dans sa jeep pour retourner directement au front. À cette même occasion, un lieutenant colonel de génie m'a dit: "Vous pouvez duper d'autres généraux avec des détails techniques compliqués et incompréhensibles afin d'éviter d'exécuter un ordre difficile, tel que construire un pont à travers un cours d'eau dans une zone occupée par l'ennemi, mais vous n'oseriez pas utiliser la même ruse avec le Général Hieu, parce qu'il sait maîtriser tous les détails, même les techniques les plus pointus, et que vous vous rendez compte qu'il ne donne jamais un ordre qui ne serait pas possible d'exécuter." Je me rappelle, un jour, je lui ai rendu visite au quartier général de la 5ème Division à Lai Khe, j'ai eu la curiosité de lui demander: "Qu'est-ce qui diffère un bon d'un mauvais général ?" Il m'a montré une carte tactique et m'a répondu: "En se préparant de lancer une opération, un mauvais général marque deux points avec un crayon rouge et trace une ligne droite reliant ces deux points, puis donne l'ordre à ses soldats d'avancer sans se dévier de cette direction, sans se rendre compte des conditions géographiques ou des diverses péripéties entre ces deux objectifs. Au contraire, un bon général examinerait de près le terrain et tiendrait compte des obstacles physiques que ses troupes devront surmonter pour aller d'un point à l'autre."

En fait, mon frère avait l'habitude de donner l'ordre au pilote de son hélicoptère de le déposer au milieu du champ de bataille, ce qui fait que son aide de camp redoute de l'accompagner dans ses missions d'observation. Il m'a une fois confié: "Ne le répètes pas à Madame La Générale, une fois lui et son état-major ont dû marcher pendant plusieurs kilomètres en pleine jungle pour échapper à l'ennemi, avant que l'hélicoptère puisse atterrir pour les soutirer du danger." Quand la région du centre du Vietnam était en train de s'effondrer face à l'ennemi du nord, mon frère a reçu l'ordre d'aider le Général Nguyen Vinh Nghi à établir un avant-poste de commandement pour contenir l'avance rapide des troupes adverses. Il a survolé en hélicoptère au Centre du Vietnam pour choisir un emplacement. Après cette expédition, son aide de camp s'est plaint à moi: "C'était si effrayant, tout en survolant les campements de l'ennemi, je pouvais voir leurs visages qui se dressaient vers le haut pour nous regarder, le Général donnait tout de même l'ordre à son pilote d'atterrir non loin de là!"

Une autre fois, j'ai posé la même question à mon frère. Il m'a répondu: "Un bon général connaît à fond l'ennemi et sait utiliser ses troupes avec sagesse, là où un groupe suffit, il n'engage qu'un groupe; là où un bataillon est nécessaire, il engage alors un bataillon." Je me rappelle après qu'il a pris le contrôle de la 5è Division à Binh Duong, chaque fois qu'il retourne à Saïgon pour visiter sa famille, il conduit lui même sa jeep avec son chauffeur assis à ses côtés, parce qu'il a établi la sécurité le long du chemin qui renoue Binh Duong à Saïgon en disposant judicieusement ses troupes. J'ai entendu quelqu'un dire que son prédécesseur a dû utiliser comme protection deux véhicules blindés pour le même parcours.

Quand j'ai rendu visite à mon frère la deuxième fois, son quartier général s'était déménagé à Lai Khe, pour remplacer la 1ère Division D'Infanterie américaine. Je lui ai demandé pourquoi choisir un endroit si désolé, sa réponse était: "Parce que les Américains n'ont pas voulu perdre la face, et donner l'impression que leur adversaire les a forcés à céder du territoire. Ce n'était pas vraiment nécessaire; au contraire, on est obligé de gaspiller deux bataillons pour protéger le quartier général, au lieu d'employer ces troupes à la poursuite de l'ennemi."

La raison qui fait que peu de gens ont su que mon frère était un général compétent de par son extrême modestie. Il n'aimait pas être sous les feux de la rampe, sur la scène. Il préférait travailler tranquillement dans les coulisses, et laisser les acteurs recevoir les ovations des spectateurs. Très tôt dans sa carrière militaire, il s'est spécialisé en stratégie, atteignant la position de Chef d'Etat-major de Corps d'armée, sous les ordres de plusieurs généraux - Do Cao Tri, Nguyen Huu Co et Vinh Loc. Ce n'était que bien plus tard dans sa carrière qu'il assumait le commandement des troupes de combat, celles de la 22ème Division d'infanterie, puis celles de la 5ème Division.

Une des raisons qui a fait que la compétence de mon frère n'a pas été utilisée à sa juste mesure était son attitude impartiale et son caractère droit, n'aimant pas faire des salamalecs envers ses supérieurs. C'était pourquoi il n'a pas été promu rapidement. Je note qu'il s'est élevé jusqu'au rang de général de division en 1968, puis n'arrivait pas à monter plus haut, à la suite de l'avancement à tout va et à tout venant pratiqué sous le régime du Président Thieu. À cause de son caractère franc, lorsqu'il était désigné commandant de la 22ème Division d'infanterie la première fois en septembre 1964, il n'occupait cette position que pendant quelques semaines, et a été relevé pour être retourné à la fonction précédente, celle de Chef D'Etat-major du 2ème Corps d'armée, par ordre du général Khanh, qui a été nommé au titre de Premier Ministre. Lorsqu'il a été reconduit au commandement de la 22ème Division d'infanterie en juin 1966, il a réussi à défendre avec succès la ville de Qui Nhon lors de l'offensive du Têt en 1968. Selon le témoignage du Général De Brigade Tran Dinh Tho, Chef du 3è bureau de l'Etat-major Général, mon frère était la personne qui, la veille du Têt l'a téléphoné pour l'avertir d'une attaque imminente de grande envergure qui serait lancée le premier jour du Têt, d'après la confession d'un prisonnier viet cong. L'Etat-major a retransmis cette information au Président Thieu qui a immédiatement annulé l'accord de cessez-le-feu. Et ainsi, cette précieuce pièce de renseignement a permis d'atténuer par conséquent l'effet de surprise de cette offensive générale.

Selon le Rapport d'Evaluation pour le troisième trimestre de 1969, présenté par l'équipe des conseillers américains, la 22ème Division dirigée par le Général Hieu a réalisé le plus grand nombre d'accrochages et a infligé des pertes sérieuses à l'ennemi et a passé le plus de temps en opérations que n'importe quelle autre unité de la 2è région militaire pendant cette période.

Pendant ses trois années au commandement de la 22ème Division d'infanterie , le Général Hieu a été estimé par les généraux de la 1ème Division De Cavalerie américaine - Harry Kinnard, John Norton, John Tolson, George Forsythe - et par le Général Lee de la Division Tigre coréenne. Par suite de ses nombreux exploits, il a été rapidement promu du rang de colonel en 1966 au rang de général de division en 1968.

Quand le Général Tri a été désigné aux commandes du 3ème Corps d'armée avec la mission de revitaliser les troupes affaiblies, il a invité le Général Hieu à le joindre pour réorganiser et revaloriser la 5ème Division. Aussitôt qu'il a pris le commandement de cette unité, le Général Hieu l'a transformé de la position défensive à celle d'attaque. Pendant moins de deux années (depuis août 1969 à juin 1971), bien qu'il ait été retardé par le déménagement de son quartier général de Binh Duong à Lai Khe, il a incessamment lancé une série d'opérations de grande envergure: opération QL/14 (2/1970), Toan Thang 46 (5/1970), Toan Thang 8/B/5 (6/1970), Loc Ninh (9/1970), Snoul (3/1971), Toan Thang 02 (5/1971), etc... Les conseillers américains auprès du 3ème Corps d'armée et à la 5ème Division d'infanterie, ont tous salué l'accomplissement du Général Hieu, à l'exception du Général Michael Davison, premier conseiller auprès du 3ème Corps d'armée qui a exprimé quelque réserve (voir Evaluation des Conseillers Américains).

Un fait illustre les capacités de combat du Général Hieu:
Le Retrait de Snoul

Un incident curieux s'est survenu quand mon frère a quitté la fonction de Commandant Adjoint du 1ème Corps d'armée pour devenir Ministre d'Anticorruption sous l'égide du Vice-président Tran Van Huong. Avant l'annonce de cette date, il avait été invité par l'Amiral de la 7ème flotte à visiter l'armada américaine. Le Général de Brigade Phan Dinh Soan a été désigné pour le remplacer. Après consultation avec les devins pour choisir une bonne date pour la passation de pouvoir, celui-ci a demandé à mon frère de l'avancer. Elle tombait avant la date de cette visite. Mon frère acquiesça à contrecoeur, car il ne voulait pas manquer l'honneur de visiter la 7ème flotte américaine. À sa place, le nouveau Commandant Adjoint a eu cet honneur. Malheureusement, pendant le trajet, l'hélicoptère transportant le Commandant Adjoint explosa en plein vol (*) . Mon frère s'est demandé si cet accident mystérieux n'était pas plutôt prémédité contre lui!

Mon frère formulait la remarque suivant au sujet du Général Nguyen Van Minh: "Quand il vient d'être nommé Commandant du 3ème Corps d'armée, il est venu inspecter le quartier général de la 5ème Division d'infanterie. Se tenant devant une carte tactique, il pointe pompeusement son bâton de général vers la carte et pose une question qu'un habitué de cet exercice n'aurait jamais ainsi demandé!" Je me rappelle avoir lu dans les journaux de cette époque la nouvelle du Général Minh remplaçant le Général Tri - qui a été exilé en France pour avoir offensé certains généraux membres de la Commission Gouvernante Militaire Centrale - à la commanderie du 3ème Corps d'armée. Après quelque temps d'éloignement, le Général Tri a pu retourner au pays. Dès son retour, il descend directement au quartier général de la 5ème Division d'infanterie, commandé par le Général Hieu. Il s'appuie sur la force imposante de la 5ème Division pour impressionner son rival et défier la Commission Gouvernante Militaire Centrale. La confrontation se termine par la reculade de celle-ci. A contre coeur, le Général Minh a dû céder le commandement du 3ème Corps d'armée au général Tri, et plus tard a pu revenir à cette fonction tant convoité après la mort de ce dit général.

Une autre indication de la compétence du Général Hieu: à la fin de la guerre du Vietnam, quand Saïgon était dangereusement menacée par l'avance rapide des communistes, le Président Thieu l'a retiré d'une position de sinécure pour le placer comme Commandant en Second en charge d'opérations - mais non pas comme Commandant du 3ème Corps d'armée parce qu'il ne faisait pas partie de ses sbires - pour protéger Saïgon, et l'a maintenu à cette position, et ce n'était pas le cas de ses collègues car la valse des généraux qui occupaient le poste de commandant du 3è corps ne faisait que commencer; Thieu remplaçait à plusieurs reprises, c'est-à-dire trois fois de suite et dans un laps de temps très court ce poste vital: Pham Quoc Thuan, Du Quoc Dong (qui a démissionné après que sa demande de rappel des troupes parachutistes du Centre Vietnam au secours de la bataille de Phuoc Long a été refusée) et Nguyen Van Toan. En outre, le Président Thieu lui a confié, pour un très court moment, Commandant de l'avant-poste du 3ème Corps d'armée. En cette qualité, le 2 avril 1975, à "Lau Ong Hoang", Phan Thiet, il a reçu de la main du Général Phu les débris des troupes du 2ème Corps d'armée qui avaient survécu à la débâcle des Hauts Plateaux. Mais le Président Thieu a encore changé d'avis et a préféré plutôt mettre le Général Nguyen Vinh Nghi à sa place. Le Général Hieu a dû retourner à son ancien poste de Commandant Adjoint du 3ème Corps d'armée. Il semble que le Président voulait garder la carte maîtresse Hieu cachée dans le revers de sa manche pour la faire sortir au moment opportun, mais sentait en même temps une certaine appréhension envers le charisme du Général Hieu!

Conclusion

Vous avez jusqu'ici parcouru mes sentiments et pensées personnels, sans doute copieusement imprégnés de subjectivité, au sujet de mon frère, qui m'a deux fois sauvé de l'encerclement des communistes: la première fois, lorsque Nhatrang était à deux doigts d'être tombé dans la main des communistes nord-Vietnamiens, mon frère a appelé le Général De Brigade Le Van Than, Commandant Adjoint /Territorial du 2ème Corps d'armée, pour lui demander de m'aider à aller à Saïgon; la deuxième fois, bien qu'il soit déjà mort, mon frère a encore guidé mon évacuation, en compagnie de la famille de ma belle-soeur, aux Etats-Unis le 29 avril 1975.

Il a sacrifié sa vie entière, depuis son entrée à l'Académie Militaire à l'âge de 22 ans jusqu'à sa mort quand il approchait la fin de sa 45ème année, à l'ARVN et à sa patrie. Je le considère comme une fleur de lotus vivant dans un étang sans être souillé par les impuretés. Il a été étroitement et malgré lui, associé à plusieurs généraux véreux. Ces généraux ont reconnu chez mon frère des qualités militaires exceptionnelles, et en même temps tenaient compte de son intransigeance au point de vue d'honnêteté. Ils ont bénéficié de sa compétence sans oser l'entraîner à suivre leurs mauvaises habitudes. Pendant mes rencontres avec lui, j'ai parfois observé sa frustration d'être obligé de travailler sous les ordres de ceux qui lui sont inférieurs, moins qualifiés que lui dans plusieurs domaines, et d'être forcé de se tenir à l'écart d'une table d'échiquier comme un spectateur sans pouvoir réagir à bon escient et suivre des yeux les mouvements désordonnés d'un joueur inexpérimenté, qui a été sélectionné seulement parce qu'il appartient à la nomenklatura. Une fois, alors que le Président Thieu était en train de se lamenter sans fin sur l'écran de la télévision parce que les Américains l'ont abandonné, mon frère m'a fait la remarque suivante: "Le Président d'un pays ne devrait pas se comporter de cette façon, il devrait plutôt déléguer à ses ministres la tâche de communiquer ce délicat problème à la population."

Si le Général Do Cao Tri a été comparé au Général Patton, je m'aventure à comparer mon frère au Général Colin Powell. Tous les deux sont excellents dans le domaine militaire aussi bien que civil. Tous les deux sont incollables en tant que tacticiens et stratèges. Tous les deux occupent des positions importantes dans l'administration civile (Assistant Spécial d'Anticorruption, Assistant au Secrétaire de Sécurité Nationale). D'autre part, l'un comme l'autre porte avec fierté leur insigne de parachutiste sur la poitrine. Ils se ressemblent même physiquement: majestueux, en même temps doux et humble. Tous les deux ont construit leur carrière militaire grâce à leurs accomplissements, leurs compétences et non à cause et en dépit du favoritisme.

Sans aucun doute, d'autres personnes ont connu mon frère mieux que moi. Je souhaite que ces personnes me correspondent ou me contactent en rédigeant des articles afin que le public fasse connaissance avec l'un des généraux les plus compétents des Forces Armées du Vietnam.


(*) Le 1 août 2005, l’épouse du Colonel Ngo Han Dong, Commandant de l’Artillerie du I Corps qui a péri en compagnie du Brigadier Général Phan Dinh Soan le 25/2/1972, m’a prié de faire la correction du fait que l’hélicoptère n’avait pas explosé dans l’air, mais s’était écrasé au sol, avec en cause la collusion de l’hélicoptère avec le mât d’antenne au moment du décollage sur le ponton du navire militaire américain. La famille a pu récupérer les dépouilles du Général de Corps Soan et du Général de Brigade Dong (promus à posthume).

Nguyen Van Tin
New York Septembre 1998

Mis à jour le 11.09.2001
Révisé le 02.08.2005

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